Que faisiez-vous pendant que les nains reprenaient la Montagne Solitaire et que Smaug piquait sa crise ?
Il me semble que je devais gérer la crise d'un autre « Dragon »... Ou du moins est-ce le nom qu'il se donnait. Ce seigneur du Rhûn a passé les vingt dernières années à essayer de me voler mon royaume, et il continue encore aujourd'hui. A croire que le fait d'être repoussé à chaque fois ne l'indispose pas plus que ça...
Quelques uns de mes éclaireurs sont revenus de l'ouest avec les nouvelles de la reconquête de la Montagne Solitaire par les Nains d'Erebor, et de la mort de Smaug, le dernier grand Dragon de Terre du Milieu. J'avoue qu'apprendre ça m'a serré le cœur... Dans ma culture, les Dragons sont vénérés comme des divinités, et nous avons même un dieu qui prend cette forme. Mais je ne vais pas vous faire un cour sur nos croyances maintenant, ce serait trop long.
Longtemps caché à Dol Guldur sous le surnom de Nécromancien, Sauron en a été chassé par le Conseil Blanc et s'éveille maintenant au Mordor : que savez vous de ces changements et évènements ?
Le Rhûn est une région du monde fortement liée autrefois à Morgoth, et à présent à Sauron. Je suppose donc que nous avons été parmi les premiers à avoir vent du retour du Seigneur Noir. Personnellement, j'avoue ne pas être particulièrement encline à le suivre. J'ai entendu dire qu'il était retourné au Mordor, ce qui le rapproche encore davantage de ma cité. Afin d'éviter d'être attaquée par les Orcs des plaines de Gorgoroth, j'ai officiellement décrété que je jurais allégeance à Sauron, mais aucun de mes sujets n'ignore qu'en vérité, nous serions plutôt dans le camp des peuples libres de Terre du Milieu. J'ignore ce que les populations de l'ouest comptent faire, mais je ne doute pas qu'ils essaieront de s'élever contre Sauron. Parviendrais-je à les convaincre de mes bonnes intentions ? Ceci est une autre question...
Quels sont vos objectifs pour les prochaines années, vos rêves et plans pour l'avenir ?
Honnêtement, la tendance à s'entre-déchirer de mes frères Orientaux commence à sérieusement m'agacer. Alors, depuis quelques décennies maintenant, j'essaie de poser les bases d'une unification du Rhûn. Malheureusement, ce n'est pas simple et la plus grande majorité des clans et cités refusent de se rallier aux autres. Par peur de perdre de l'influence, du territoire, ou bien du pouvoir, peu importe ce qu'ils craignent au final. Je commence à croire que mon projet ne sera jamais réalisable... Mais pour le moment, je ne compte pas perdre espoir.
Pour ce qui est de mes rêves... Je ne pense pas réellement en avoir. Hormis celui de voir ma cité prospérer et vivre sans craindre d'être envahie, ravagée et pillée. Ce n'est jamais arrivé depuis que je suis au pouvoir car je fais tout pour l'éviter, mais c'est une menace constante qui plane au dessus de nous...
A vous qui ne connaissez rien -ou si peu- de ma terre natale, sachez que vous devriez vous détacher de tout ce qui vous est familier, ouvrir vos esprits, et écouter attentivement ce que je vais vous raconter. Il se pourrait que bientôt, les Occidentaux redécouvrent que loin à l'est, d'autres peuples vivent et prospèrent...
Avant de parler de moi, il me semble judicieux de vous entretenir un peu de la région qui m'a vue naître. Lors de mes voyages à l'ouest, j'ai appris que beaucoup de personnes pensaient que le Rhûn était une terre déserte et stérile, où seuls quelques tribus nomades, barbares, vivaient dans l'errance. Une telle ignorance m'a révoltée, bien que je n'en ai rien laissé paraître. Non, le Rhûn n'est pas un désert. Nos terres sont une succession de plaines, de forêts et de collines, parfois sèches parfois luxuriantes. Des plantes qui vous sembleraient étranges fleurissent dans nos champs et nos jardins, et certaines bêtes vous paraîtraient sûrement amusantes, ou bizarres. Au sud, l'air est chaud et sec, tandis qu'au nord il est froid et humide. Nous connaissons la neige comme les pluies, et nous ne sommes pas plus barbares que vous pouvez l'être.
D'un point de vue politique, le Rhûn est organisé selon un schéma de cité-royaumes, chacune possédant un territoire plus ou moins étendu suivant la puissance de son armée. Des clans nomades parcourent effectivement le pays, dont les chefs pactisent avec certains rois ou reines de cités afin de pouvoir traverser en toute quiétude leur domaine, et parfois même profiter des ressources alimentaires des cultures semées par les paysans. Souvent, les habitants de ces villes et les nomades échangent des bijoux, des objets divers, et se partagent les dernières nouvelles. Cependant, le Rhûn n'est pas une contrée tranquille. Son peuple est profondément belliqueux, et a élevé la guerre au rang d'art de vivre. Les cités passent leur temps à se faire la guerre, soit pour étendre leur territoire, soit pour défendre les terres qu'elles possèdent déjà. Peut-être êtes-vous surpris de constater que des hommes pareils puissent se laisser mener par des femmes ? Sachez que chez nous, même les femmes peuvent faire la guerre, et aucun homme n'oserait affirmer le contraire. Les souveraines sont tout autant respectées que les souverains, et ce même si aucun roi ne trône à leur côté. Et j'ajouterais même que nous n'aimons guère ceux qui se permettent de reléguer le sexe féminin à l'arrière-plan. Donc voici un conseil, si jamais vous deviez voyager vers l'est, tâchez de ne pas commettre d'impair envers une demoiselle, ou vous risqueriez de terminer avec une dague enfoncée dans la gorge. L'une de nos principales caractéristiques, lorsque nous partons en guerre, est notre tendance à nous baser sur l'intimidation, les artifices. Tout est bon pour tenter de répandre la peur parmi nos ennemis, et nos armes, nos armures, sont en partie conçues dans ce but. Cela fait des siècles que nous avons saisi l'importance du mental lors des batailles, et l'affaiblir avant même de lancer l'assaut est l'un de nos objectifs.
Quant à nos mœurs, elles sont bien plus formelles que les vôtres. Il n'est pas question de faire étalage de nos sentiments et émotions en public, et notre sens du respect et de l'honneur me paraît plus exacerbé qu'il peut l'être chez vous. Je peux me tromper sur ce dernier point, mais après tout, je ne suis pas objective.
Maintenant que cette petite introduction est faite, vous devriez pouvoir saisir avec plus de justesse ce qui va suivre.
Je suis née lors de l'année 1944 du Troisième Âge de la Terre du Milieu, dans la cité de Ming Yue. Cette dernière se trouve au nord de la mer du Rhûn, vers l'est, et son domaine s'étend sur une bonne partie de la forêt des plaines voisines. C'est l'un des plus importants royaumes.
Ma mère était une femme du Rhûn, héritière du roi de la ville, et mon père était l'un des derniers Avari peuplant encore cette région du monde, un Elfe, donc. Le jour de ma naissance, le printemps embaumait l'air, et un vent violent arrachait les fleurs les moins robustes des arbres, recouvrant le sol d'un tapis de pétales. On me nomma donc Fang Yin, ce qui dans notre langue signifie « sol tapissé d'herbe parfumée » et « souffle de fleur ». Nous avons une certaine tendance à la poésie lorsqu'il s'agit de nommer nos enfants, oui...
Je ne connus jamais ma mère, cette dernière ayant donné sa vie pour que je vienne au monde. D'après ce que me racontait mon père, elle avait perdu trop de sang pour que même nos médecins y puissent quoi que ce soit. Au risque de choquer certaines personnes... Elle ne m'a pas manquée. Comment l'aurait-elle pu ? Je n'avais jamais posé les yeux sur elle. Bien sûr, j'aurais aimé la connaître, découvrir quel genre de femme elle était, d'autant plus que mon père m'a toujours dit que plus les années passaient, plus je lui ressemblais. Mais mes regrets s'arrêtent là.
Durant mon enfance, je n'ai manqué de rien. Calad -mon père- veilla sur moi comme si j'avais été le trésor le plus précieux que ce monde ait jamais porté. L'éducation qu'il me donna fut clairement orientée dans le but que je devienne un jour souveraine de Ming Yue. Mes précepteurs ne négligeaient aucun sujet, et mes maîtres d'armes ne faisaient aucun cadeau. Si je voulais être à la hauteur de mes parents et grand-parents qui avaient toujours su garder la cité à l'abri des tribus et peuples ennemis, il fallait que je sois aussi habile que possible, et ce dans tous les domaines. La politique et l'art de la guerre n'eurent rapidement plus aucun secret pour moi. Tout comme l'herboristerie, d'ailleurs. Mon père était un véritable virtuose dans cette branche, et s'est donc fait une joie de me l'enseigner. Manipuler les plantes a toujours été un véritable plaisir, une passion, pour moi, et j'étais donc bien plus attentive et appliquée dans ce domaine-là que dans tous les autres.
Entre deux leçons, je courais souvent rejoindre mon grand-père maternel, un vieil homme usé par des années de luttes pour conserver notre ville intacte, et que la mort de sa fille unique aurait pu achever, si je n'avais pas été là. J'aimais les histoires qu'il me racontait, les récits de batailles qu'il savait rendre si vivants, les rumeurs qu'il me murmurait sur les peuples de l'ouest... C'est en partie grâce à lui que je suis aujourd'hui si curieuse et ouverte d'esprit. Il me répétait toujours qu'il ne fallait jamais se fier aux apparences, qu'il fallait apprendre à voir au delà de ce que nos yeux voyaient, et que ce n'est pas parce que tout le monde fait quelque chose que nous devions en faire aveuglément de même.
Sa disparition m'a beaucoup touchée... J'avais à peine une vingtaine d'années. J'aurais voulu qu'il vive encore, j'avais la sensation qu'il ne m'avait pas tout appris, pas tout dit... C'est à ce moment-là que je réalisais ce qu'impliquait ma nature de semi-Elfe. J'allais voir mourir tout ceux qui n'avaient pas le sang des Premiers Nés dans leurs veines, tandis que moi, j'allais demeurer inchangée au cours des siècles. Oh bien sûr mon père m'avait expliqué que j'avais le choix entre mener une existence mortelle ou bien d'Elfe, mais pour moi cette décision n'avait jamais été source de dilemme. Je ne pouvais pas abandonner mon cher père, le laisser seul face au temps qui s'écoulait lentement. Pas plus que je ne pouvais abandonner Ming Yue. Mon grand-père, ma mère, ils aimaient profondément notre cité, et cet amour, ils me l'avaient transmis. C'était mon devoir de rester aussi longtemps que je le pourrais.
C'est peu après les funérailles que mon don se manifesta. Un don que je tenais de l'ascendance Avari de mon père, et qui contribua, plus tard, à mon surnom de Reine Sorcière. Je pouvais ressentir les sensations les plus fortes des personnes se trouvant à moins de cinq ou six mètres de moi. Au début, je ne vous cache pas que ça faillit me rendre folle. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, et toutes ces émotions qui ne m'appartenaient m'encombraient tellement l'esprit et le coeur que j'avais l'impression que j'allais imploser. Heureusement pour moi, ce ne fut pas le cas, et je conservai toute ma tête. Calad m'apprit à gérer ce pouvoir aussi posément que possible. Durant quelques années, je restai plus éloignée des autres que de coutume, mais je finis par sortir peu à peu de mon isolement. A présent, je sais parfaitement différencier quel sentiment m'appartient et lequel ne m'appartient pas, tout comme j'ai appris à déduire certaines choses grâce à ce don. L'empathie est quelque chose de très pratique, lorsqu'on sait l'utiliser correctement. En revanche, les batailles sont toujours de véritables épreuves psychologiques pour moi plus que pour mes soldats, et j'en ressors généralement épuisée...
Ma vie connut un véritable tournant lors de l'hiver 2049. Nous traversions une saison particulièrement froide et longue, et notre cité semblait crouler sous le poids des épais flocons qui tombaient sans discontinuer depuis des semaines. La disette avait cédé la place à la famine. Les récoltes de l'été passé n'avaient pas été suffisantes pour nous permettre de tenir jusqu'au printemps, qui paraissait ne jamais vouloir revenir. Au sein du Rhûn, il est rare qu'on laisse un royaume mis à mal tranquille. L'un des rois voisins ne tarda pas à lancer l'offensive. La bataille fut brève, mais cela n'empêcha pas à de nombreux hommes, femmes et mêmes enfants de perdre la vie ce jour-là. Avec mon don d'empathie que je ne pouvais faire taire, je peux vous assurer que ce n'est pas mon souvenir préféré. Parfois, lorsque je ferme les yeux, il me semble encore entendre les hurlements de peur et les cris d'agonie de mon peuple, tandis que l'odeur âcre du feu et du sang m'emplit les narines.
Mon père fut assassiné juste sous mes yeux, ainsi que sous ceux d'une centaine de survivants, au sommet des marches menant au palais de Ming Yue. Comme l'exigeait les traditions lorsqu'on prend une cité. A cet instant, j'avais l'impression que mon univers tout entier s'effondrait. Cet Elfe était tout pour moi. La seule famille qui me restait, un mentor, un modèle à suivre... Tout. La profonde satisfaction que je sentais distinctement émaner des soldats qui m'empêchaient de leurs lances d'aller auprès du corps de mon père ne faisait que jeter de l'huile sur le feu de la colère qui consumait mes entrailles.
Ceci dit, dans mon malheur j'eus de la chance. Un seigneur de guerre d'une tribu nomade, un vieil ami de mon défunt paternel, avait eu vent des mouvements de troupe du roi de la cité du Paon vers la nôtre. Il avait alors rassemblé ses hommes -dispersés aux quatre coins de son territoire- et marché vers Ming Yue. Il arriva trop tard pour sauver Calad, mais en revanche grâce à lui notre royaume fut sauvé de ses envahisseurs.
Moi ? Je profitai de la confusion générée par la cavalerie de Rhaenar pour voler le sabre de l'un de mes geôliers et leur tranchai la gorge d'un même mouvement. Je lâchai la lame pour récupérer des doigts inertes d'un des homme les griffes d'acier que mon père avait forger pour moi, et les attachai soigneusement à mes mains. Une fois convenablement armée, je m'élançai après ce couard de roi qui avait pris la fuite à l'intérieur du palais. Il me fallut une dizaine de minutes pour le retrouver à travers le vaste dédale de couloirs.
Lorsque je sortis à nouveau de la bâtisse, mes bras goûtant de sang, plus rien n'avait d'importance à mes yeux. Ni les combats qui s'achevaient un peu partout, dans les ruelles et sur les places, ni les maisons que les flammes rongeaient peu à peu, ni les soldats qui fuyaient la ville la queue entre les jambes... Rien. Tout ce que je voyais, c'était le cadavre de mon père, étendu sur les dalles blanches tâchées d'écarlate. D'un pas lent, j'allai vers lui pour me laisser tomber à son côté, pour finalement me blottir contre lui, une dernière fois.
Grâce à l'appui de Rhaenar et sa tribu, Ming Yue parvint à renaître de ses cendres, et resta sauve durant plusieurs années. Le chef de clan me conseilla même durant mes premiers temps comme reine de la cité, ce dont je lui étais reconnaissante. Aujourd'hui, bien que Rhaenar soit mort depuis des siècles, sa tribu sait qu'elle peut compter sur le soutient de notre ville, quoiqu'il arrive. Quiconque osera s'en prendre à eux devra en répondre devant moi.
Les décennies passèrent. Je fis de Ming Yue une cité florissante, paisible, où il faisait bon vivre. La plupart de nos ennemis nous craignaient bien plus qu'auparavant, et peu osaient venir nous provoquer. Les rumeurs qui circulaient sur moi, s'insinuant lentement mais sûrement à travers tout le Rhûn, y étaient pour beaucoup. Reine Sorcière, disait-on. Certains prétendaient même que ma longue chevelure blanche, ma longévité et mes dons hors du commun aux yeux des mortels étaient la preuve que j'étais la fille du dieu Dragon que l'on pensait vivre dans le ciel et qui protégeait la lune lors de son voyage à travers les ténèbres. J'avoue avoir alimenté ces racontars parfois extravagants, notamment en modifiant la
bannière de notre royaume, retirant le faucon au profit du Dragon qui trône désormais sur tous nos étendards. Si cela nous permet d'intimider nos adversaires et donc d'éviter des conflits inutiles, ce n'est que mieux !
Arriva un moment où je ressentis l'envie de faire prospérer Ming Yue. Je voulais étendre l'influence de notre royaume, le rendre encore plus faste qu'à l'époque où mes parents régnaient. Et comme toute souveraine du Rhûn qui se respecte, cela passe par l'annexion de nouveaux territoires. Cette campagne militaire dura cinq ou six ans. Les pertes furent lourdes des deux côtés, mais ma finesse d'esprit et ma détermination eurent finalement le dessus. Aujourd'hui, Ming Yue est l'un des domaines les plus vastes et craints de l'Orient, et notre armée n'est pas de celles que l'on provoque sur un coup de tête. Quant à moi, je suis la Reine Sorcière que l'ont dit plus froide que les glaces du grand nord, et que l'on prétend capable des pires sortilèges. Ce qui, entre nous, m'arrange bien.
Bien que je puisse avoir tout ce que n'importe quelle reine du Rhûn puisse rêver de posséder, il me manquait toujours quelque chose. J'avais soif de connaissances, je voulais voir de nouvelles choses, découvrir ce qui se cachait à l'ouest. C'est pourquoi, lors de l'une des périodes de calme de Ming Yue, je quittai ni vu ni connu la ville, me faufilant au dehors aussi discrètement qu'une ombre, et filai au grand galop vers ces terres dont j'ignorais tout.
Ma route me mena dans des lieux qui me parurent étranges, et je découvris des peuples aux coutumes... Singulières. J'enviais la tranquillité et la paix dont ils jouissaient, tandis que mon peuple devait subir des attaques au moins une fois dans l'année, si ce n'était plus. Leurs vies n'étaient pas parfaites, loin de là, mais parfois je les entendais se plaindre, et je songeais avec amertume que s'ils venaient chez moi, ils auraient tôt fait de faire volte-face pour retourner d'où ils venaient...
Durant mes voyages -où je me teignais les cheveux en noir afin de passer un peu plus inaperçue, même si j'étais bien consciente que les traits de mon visage allaient attirer l'attention- je fis la rencontre de personnes très intéressantes. Elfes, Humains... Ils semblaient tous cependant avoir une bien piètre opinion du Rhûn. Certains en ignoraient même tout, pensant qu'il s'agissait ni plus ni moins que d'une vaste étendue désertique où personne ne vivait. Si seulement ils pouvaient voir la végétation luxuriante et les plaines verdoyantes mouchetées de fleurs bariolées de Ming Yue au printemps... J'ai même croisé le chemin d'hommes persuadés que les populations d'Orient ne sont que des barbares aux moeurs douteuses qui se contentent de suivre aveuglément le pouvoir du Mordor. Une telle ignorance m'a d'abord laissée choquée, avant de me mettre en colère. Bien que je n'en ai rien montré. En rentrant à ma cité, je m'étais promis de leur montrer ce qu'est réellement un peuple du Rhûn digne de ce nom...
J'aime mon pays, et j'aime mon peuple. Il était donc naturellement hors de question pour moi de laisser Sauron lui mettre le grappin dessus. Je ne suivrais pas un être qui souhaite ravager le monde connu. Qu'adviendrait-il de nos champs, de nos bêtes, de nos enfants ? Je ne peux décemment pas fermer les yeux et me rallier bêtement aux autres bannières du Rhûn déjà sous la coupe du Seigneur Noir. Cela ne veut pas dire pour autant que prendrais le risque d'afficher cette opposition au grand jour, surtout lorsqu'on considère la situation géographique de Ming Yue par rapport au Mordor, mais... Bien que j'ai officiellement déclaré notre allégeance à Sauron, mes gens savent pertinemment que si jamais nous devions nous engager dans une guerre, ce serait davantage du côté des peuples libres de la Terre du Milieu. C'est ce qu'aurait voulu mon père, puisse-t-il reposer en paix...
Je suis allée en Harad, à plusieurs reprises. Lors de mon dernier voyage, j'en ai d'ailleurs rapporté un charmant présent offert par l'une des reines de cette contrée du Sud, un petit lionceau. C'était il y a plusieurs années maintenant, et Shîzi est à présent un vieux lion qui passe ses journées à me suivre fidèlement en traînant les pattes et adoptant tout ce qui bouge.
Il y a encore tant de choses et de races que je n'ai pas eu l'occasion de découvrir et de rencontrer... A quoi peuvent bien ressembler les Nains ? Et les Hobbits ? Quelles sont leurs coutumes ? A quoi ressemblent leurs royaumes ? Trop de questions qui restent sans réponses à mon goût...
Pendant longtemps j'ai arpenté la Terre du Milieu en tant que simple voyageuse, peut-être est-il temps que le monde sache que le Rhûn n'est certainement pas une terre de sauvages... Peut-être est-il temps de chercher à tisser des liens avec ces populations que j'ai si souvent observées en silence ? En tout cas, une chose est sûre, Ming Yue ne restera plus recluse dans son coin du monde.