Je savourais les derniers instants paisibles d'une vie, je profitais de la quiétude qui annonçait une tempête. J'attendais le retour de celui que j'aimais et je me languissais dans ma forêt, j'écoutais les chants et les histoires qui résonnaient dans la forêt, racontant l'exploit de quelques guerriers contre un dragon paré de flammes et de colère. J'attendais tout simplement, un retour qu'aujourd'hui encore je continue d'attendre. Et par dessus je laissais s'envoler au vent, se transformer en cendre, la douceur en moi, elle finit par s'envoler en fumée perdue dans les volutes s'échappant du nez de Smaug.

Ayant traversée nombres de contrées, voyager de jour comme de nuit à travers champs et forêts j'ai pu les croiser, en tuant quelques uns et fuir leur lame et leurs crochets lorsque le danger se faisait trop présent. J'ai surtout vu la forêt dépérir mangée par des toiles qui engluaient les arbres et j'ai pu sentir le long des routes l'odeur fétides des orcs qui une fois la nuit tombée tailladaient les corps.

Bien sûr que cela me dit quelques choses, les murmures attirent mon oreille et ma curiosité et trop souvent j'ai entendu son nom entre les lèvres de personnes au visage rongé par l'inquiétude, j'ai entendu les rumeurs qui prône le retour du roi du Mordor, j'écoute ce que je peux, mais je ne peux accéder à plus d'informations, je sais simplement qui fait planer une peur certaine sur la terre du milieu. Mais peu importe, je ne me fis pas aux guerres et aux alliances, je laisse le temps continuer son chemin sans me préoccuper d'avantage de ce qui peut se passer.

Toujours les feuilles chutèrent des arbres quand l’automne paré de sa robe rougeoyante venait succéder à la douceur et à la blondeur de l’été. Longtemps Céohild avait regardé s’écouler les saisons, se transformer les arbres et les plantes, vu le rouge se paré de blanc puis de vert dans un bal de couleurs incessant qui ne cessait d’entreprendre la même éternelle chorégraphie. Narrer une centaine d’années de vie pourrait prendre des pages entières et l’encre noircirait trop de feuilles avant que ne survienne le moindre événement important. Il en est également ainsi pour l’existence de Céohild : des années durant, plus d’un siècle durant elle avait laissé s’écouler les premières années de sa vie d’elfe, regardant le monde à travers le voile de l’immortalité.

Les temps changent, mais la forêt, elle, doit rester éternelle, perdue au cœur du royaume sylvain, loin de se préoccuper du monde des hommes qui grondait sous une nouvelle menace, n’ayant cure des nains qui erraient toujours à la recherche d’un royaume perdu, Céohild vivait sa vie. La jeune elfe, était au prise d’un amour éternelle, cet amour qui vous faisait vrombir le cœur, et perdue dans les méandres noueux de ses sentiments, elle ne remarquait pas que la forêt se faisait plus noire, plus obscure. Les araignées grouillaient et les arbres se mourraient, pourtant Céohild était trop romantique, trop insouciante et délicate pour s’en préoccuper. Le destin peut être cruelle et l’éternité peut se montrer une alliée bien douloureuse lorsqu’une promesse liée à jamais se retrouve défaite dans le sang et l’acier.

La candeur de Céohild fût balayée par le souffle d’un dragon et son cœur fût réduit en cendre lorsque Smaug, fou de rage s’éveilla à nouveau. La bataille grondait à l’orée de la forêt et déjà les armées se préparaient, prête à affronter une menace nouvelle. Céohild ne comprenait pas les élans de courage qui poussait son bien-aimée à courir au devant du danger, elle ne saisissait pas la nature des sentiments qui l’exhortaient à aider le peuple voisin. Elle ne su pas pourquoi  il partit, au cœur de la nuit, quand les étoiles elle mêmes se laissent intimider par la noirceur. Quelques mots écrits et puis cette douleur violente, inhumaine, éternelle qui vous traversait le corps. Une douleur qui balaya Céohild la jeune elfe romantique et poétique, pour ne laisser dans une même enveloppe que l’âme vidée d’une femme de fer.

Ceux qui entouraient Céohild ne la reconnurent pas, le temps cette chose qui ne semblait qu’éphémère pour les elfes avait opéré une transformation radicale. Brisée par la mort de son aimé Céohild avait choisi une nouvelle, une voie que peu de sa race osait emprunter, mais une voie où elle excellait. Deux années durant elle s’entraîna, jour et nuit, oubliant le fil de la lune et du soleil, elle virevoltait avec ses dagues, apprenait l’art de trancher la gorge d’un homme sans bruit ou de se dissimuler dans l’ombre. Puis elle su, alors que les ténèbres s’abattaient un peu plus sur la Terre du Milieu, elle quitta la forêt qui l’avait vu naître, elle se déplaça, de ville en ville, affrontant le danger, remplissant des contrats pour gagner sa vie. Rare est le papillon qui redevient chenille, mais dans toute transformation se trouve une raison qui bien souvent échappe à la conscience de l’Homme.