J'étais bien loin de cette montagne, je longeais alors les bords du Gwatho continuant inlassablement mon long périple, marchant jusque là où mes jambes acceptent de me porter. Sans repos, sans arrêt près d'un quelconque royaume je continue ma route parfois en chantant ma peine, parfois avec le poids de mes regrets. Je ne me soucis guère des nains et Smaug n'est rien de plus qu'un dragon, un survivant d'une vieille époque désormais révolu. Rien qui ne puisse me faire sortir de ma torpeur.

Toujours sur la route mais cette fois-ci je m'étais à proximité du Rohan. J'ai eu quelques échos de la situation par des paysans et des marchands. Certains semblaient inquiets que le mal revienne. Une bataille semble s'y être déroulér mais je n'y ai prêté qu'une attention secondaire et j'ai bien vite repris ma route pour éviter le conflit. Depuis la mort de Maedhros moins j'utilise mon épée mieux je me porte, le sang n'a que trop coulé par ma main que ce soit elfe ou orque je répugne aujourd'hui a devoir l'employer. Elle me semble le souvenir d'un passé révolu.

Sauron n'est qu'un parasite, un escale de Morgoth croyant pouvoir asservir le monde, puissant mais pas invincible, cupide. Ayant résidé au moins pour un temps en Mordor voilà ce que Maglor en sait. Dol Guldur, ce nom il ne lui évoque rien, il ne s'y est jamais rendu beaucoup trop près du royaume de Thranduil pour qu'il puisse y avoir des vues. Les affaires des hommes et des elfes ne l'intéressent plus.

Aucun projet, les millénaires passent sans que cela n'affecte son visage d'une ride. Sa peine et les remords sont intacts. En vérité Maglor n'avait jamais espéré vivre aussi longtemps, peut-être aurait-il du se jeter dans ce volcan comme Maedhros mourrir avec le dernier de ses frères, mettre fin à cette lignée maudite et à ce serment mais il n'en fut rien. Le Noldor ne pu se résoudre à se suicider et accepta le châtiment des valais sans rechigner, vivant sur les routes comme un vagabond il cherche le chemin de la rédemption. Un chemin qui encore aujourd'hui lui semble obscur, son futur est incertain. Une chose est sûre, ces chances de revoir un jour le royaume bénit sont quasi-inexistantes.

« Etranger, vous semblez bien mal en pont, venez avec nous partager le couvert...  » proposa d'une voix douce le vieille homme devant lui.

«Je ne le mérite pas. »

«Qui êtes-vous, pour penser que vous ne méritez pas mon hospitalité ? » dit finalement le vieil homme.

Ce fut dans un soupir que l’elfe accepta de lui répondre,

« Je suis Maglor Fëanorion, né durant l’époque des arbres. Deuxième d’une fratrie de six frères. Sans aucun doute je fus l’enfant le plus calme de la famille. Je ne criais pas comme mes frères, ne courraient pas dans tous les sens dans notre demeure, ne dérangeait jamais mon père,… J’étais tout simplement tranquille, un enfant qui aimait les mots et la musique. Qu’aurais-je donné pour pouvoir entendre la musique de la création du monde par les Ainurs, tout les simarils du monde. Hélas la vie ne se déroula pas comme je l’avais prévu. Si mon père m’appris l’art des mots et de l’écriture, il fut en revanche dans l’obligation de m’apprendre celui de la guerre bien malgré moi. Il forgea ainsi à chacun de ses fils une épée, pour moi il forgea Alamë l’orme et jamais elle ne me quitta. La paix fut troublée par Morgoth anciennement Melkor valar déchu. Mon père fabriqua des simarils renfermant la lumière des arbres après que ceux-ci furent détruits par Ungoliath.  Dans son emportement mon père proféra des paroles outrageuses à l’encontre des Valars et nous fument exilés hors de Tirion. Nous bâtîmes Formenos mais hélas Melkor vint pour récupérer les simarils et après l’assassinat de Finwë mon grand-père, il prit la fuite avec les précieux simarils fabriqués par mon père.  Face à ce désastre je fis le pire choix de ma vie, je prêtais serment avec mon père de tout faire pour récupérer les simarils. Après cela nous partîmes pour la Terre du Milieu abandonnant Valinor contre l’avis des Valars. »

S’arrêtant un instant pour reprendre son souffle, le fils de Fëanor repris d’une voix douce à peine plus fort qu’un murmure,

« A partir de là, cette histoire est remplie de décadence, d’horreur. Il faut que vous compreniez vieil homme que je suis un monstre, les elfes ne sont pas tous des êtres bons et j’en suis très loin moi-même. Melkor était peut-être un monstre mais il n’a pas tué son propre peuple. J’ai massacré sous l’ordre de mon père les Teleri mes frères pour la futile raison d’avoir refusé de nous donner des navires.  J’ai combattu des années contre Melkor devenu Morgoth, j’y ai vu mon père mourir contre Gothmog le seigneur des balrogs. Il nous implora alors de continuer quoi qu’il en coûte son serment et c’est ce que  nous fîmes. Je ne dirais pas que je suis fier de ce que j’ai fait, bien au contraire. Je devins un cours temps le chef de la famille lorsque Maedhros fut enfermé à Angband, heureusement il nous revint, cette responsabilité n’était pas pour moi le chanteur. Nous vécûmes un temps dans notre propre royaume. Malheureusement la guerre était partout, la paix toujours loin et ce serment nous tourmentant. Nous massacrâmes Doriath et Dior pour le simaril mais ce ne fut qu’un cuisant échec et une nouvelle déchirure pour mon feä. Celegorm, Caranthir et Curufin périrent ce jour-là.  Notre quête pour le simaril nous conduisit au havre de Sirion où vivait Elwig fille de Dior. Hélas ou heureusement elle refusa de nous donner le précieux bijoux et nous attaquèrent à nouveau nos compatriotes, cette fois ce fut Amrod et Amras qui tombèrent. Je ne sais pourquoi le sort s’acharna à me garder en vie alors que parmis mes frères, j’étais celui qui aspirait le plus à la mort. C’est à ce moment que je fis la rencontre d’Elrond et d’Elros, les deux jumeaux d’Elwing pris de pitié pour ces enfants innocents je ne pus me résoudre à leur faire de mal. Nous les emmenâmes avec nous sur les routes et je me pris d’affection pour ses deux semi-elfes. Il n’avait rien de commun aux enfants que j’avais côtoyé, leur présence me permit de ne pas sombrer dans la folie face à la perte de mes frères et de ce serment qui jamais ne me quittait. Ils restèrent un temps avec nous jusqu’à la chute de Morgoth. Morgoth défait, je fus convaincu par mon frère de ne pas partir en Valinor vers la paix tant souhaitée pour tenter une dernière fois d’obtenir les simarils détenue par Eönwë. Malheureusement ce fut un échec et en attrapant le simaril mes doigts furent brulés, m’apprenant ainsi qu’en déchirant mon fëa au fil des massacres j’avais perdu le droit de les toucher. Ces brulures restèrent à jamais sur mes mains et je décidais ainsi de jeter mon simaril à la mer tandis que mon frère Maedhros se suicida avec le sien, me laissant à jamais seul avec mes tourments. Depuis ma vie n’est plus, je regarde les millénaires passés indifférent marchant mais surtout pleurant les atrocités que j’ai commisse. Je doute qu’après cela, vous accepteriez de m’offrir le couvert pour la nuit, vieil homme mais je vous remercie pour votre hospitalité. Vous êtes généreux, ce ne fut pas mon cas ».

Et sur ces mots, Maglor continua sa route.