Cela fait six ans, je ne sais plus ce que je faisais exactement. J'étais au Gondor, en train de parler à mon père lorsqu'un messager a porté la nouvelle de la mort de Smaug; sans doute avec un peu de retard sur l'évènement, mais Erebor, comme la terre de l'est que le dragon a brûlé sont bien loin de chez nous. Je ne savais rien de leur quête, même si je comprends pourquoi ils l'ont entreprise. Et voir un dragon s'éteindre ne peut que faire du bien aux peuples libres.
   

Je patrouillais près d'Osgiliath : les rumeurs de cavalier noir sont très présentes en Gondor et effrayent la population : j'essayais de trouver leur trace pour les combattre quoiqu'il arrive, sans savoir qu'ils se trouvaient alors bien plus à l'ouest. J'ai ensuite après la conquête de Lond Daer par les Dunlendings, mettant en péril nos voisins, les Rohirrims...mais la situation ne semble pas avoir basculé pour autant, je ne sais pas trop ce qui va arriver...
   

Seulement les conséquences pratiques : des orcs, des gobelins, des routes dangereuses et malfamées, le Gondor sombrant et plus de gens affamés, terrifiés, plus d'orphelins et de veuves. La cause semble être ce nécromancien, cette ombre que dit-on on trouve au Mordor maintenant. Les environs d'Osgiliath sont plus que jamais dangereux et les patrouilles ont été multipliées: oui, je n'aime guère porter mon regard vers le Mordor, mais pour ces fables, demandez donc à mon frère, il est celui qui passe son temps libre dans les livres.
   

Rendre sa gloire au Gondor, tenir l'ennemi à l'écart des miens aussi longtemps que possible. Le Gondor a perdu de sa force, mais pas les hommes qui le peuplent non. Et ils méritent mieux. Prendre mon épée, galvaniser mes hommes, faire de mon mieux. Rendre mon père heureux et fier, les miens en sécurité. Voir mon frère heureux.
Il y a encore peu de temps c'est tout ce que j'aurais souhaité. Pour mon avenir, j'aurais envisagé une femme, un héritier, non pas par désir mais car je suis le fils aîné de l'intendant du Gondor et, même si nous ne sommes pas une famille royale, c'est ce qui se devait. Mais ces derniers temps, tout s'est enchaîné si vite, tout a changé. J'aimerais retrouver mon père. J'aimerais le revoir, et que les dix dernières années n'aient pas eu lieu, j'aimerais le retrouver et si possible comme je le chérissais auparavant. Pour l'heure, le Gondor n'a plus d'intendant, seulement deux fils d'intendant, un h...pardon, une héritière d'Isildur.
Mes plans pour l'avenir ? Discerner si le Gondor serait mieux avec une reine ou un intendant, et dans le cas où la première réponse est celle correcte, lui prêter mon bras, mon arme et mon appui.

Depuis que, des générations auparavant, le roi a disparu, le Gondor est aux mains de la famille de l'Intendant : jusqu'il y a peu, il s'agissait de Denethor, mon père. Je suis son premier né, et certains diraient qu'à ses yeux son seul fils, mais j'ai été élevé et j'ai grandi avec mon petit frère, Faramir. Les dix premières années de ma vie furent semblables à celles de beaucoup de petits garçons de mon statut; écouter les précepteurs ennuyeux, rêvasser à la gloire des armes et de mon pays, commencer à apprendre le métier des armes...tenter de tirer mon frère à l'extérieur pour lui coller une épée de bois en main. Ce fut une période que je chéris encore aujourd'hui, où je jouais au grand frère protecteur et au leader d'hommes.
Avant de découvrir que la réalité était plus sévère que le jeu.
J'avais dix ans lorsque notre mère mourut, rappelant la brièveté avec laquelle les hommes doivent compenser. Douloureux rappel, mais je ne fus pas le plus atteint par cette perte, et je n'ai guère eu le luxe de pleurer sa mort. J'aimais ma mère, évidemment même si j'étais plus proche de mon père. Contrairement à Faramir, en dix ans j'avais eu le temps de chérir la présence maternelle, sa voix et son sourire... Mais le temps des larmes fut court, alors que, en même temps que d'une mère nous nous voyions privé d'un père. Denethor devint froid et distant, chaque mot ou signe d'affection plus difficile à gagner. En contre-partie, mon frère et moi nous sommes rapprochés et s'il y a bien une chose pour laquelle je suis reconnaissant c'est cela; je tiens à lui et m'efforce de tenir mon rôle de grand frère de mon mieux, en espérant que rien ne nous séparera. Comment cela serait-il possible, de toute façon ?
Je ne suis pas aveugle, cependant; mon frère souffre de la froideur de notre père, et si je parviens à arracher des sourires à Denethor par mes prouesses aux armes, Faramir, en accomplissant les mêmes exploits ne récolte que le vent et la déception.  Est-ce que cela aurait du être un signe ? Un point de départ à la folie qui l'a pris ? J'ai passé ma vie à regretter le comportement de mon père et à espérer que Faramir n'en souffre pas, mais je ne cesse de me demander si je n'aurais pas du intervenir...

En grandissant, j'ai gardé le plaisir que procure l'exercice des armes. L'ennui face aux précepteurs et aux mondanités ne m'a pas quitté; les seuls récits qui m'intéressent sont ceux de bataille, et je n'ai guère de patience pour les courbettes ou pour l'idée d'avoir une vie privée. Mon métier me prend tout mon temps et je m'y dévoue de tout mon coeur. Je suis devenu le capitaine de la tour blanche, avec comme mission de défendre le Gondor, et tout ce qui ont besoin de mon aide.  Je ne crains pas la mort, tant qu'elle s'effectue au combat : et pour le Gondor je suis prêt à me battre et à mourir s'il le faut. Tout ce que j'espère, c'est que la force des bras et le courage des hommes sera suffisant.

Et dans tout ce fatras, se mêle encore un rêve étrange. Etrange, car je rêve peu d'ordinaire : je m'endors d'un sommeil lourd, épuisé par mes journées. Mais je me réjouirais s'il s'agissait d'un simple rêve ordinaire, passager. Malheureusement, Faramir a fait le même que moi, plusieurs fois, et les détails hantent nos deux esprits jusqu'à ce qu'il devienne un sujet de discussion récurrent entre nous. Je n'ai pas vraiment l''habitude de me soucier des rêveries ou des superstitions, mais ce rêve là est difficile à ignorer et effacer de ma mémoire. Si nous sommes d'accord qu'il faudrait aller chercher le secours des elfes, à Fondcombe, nous ne sommes pas encore passé à l'acte.  J'avoue n'avoir eu de cesse de repousser le moment du départ; quitter nos fonctions nous forcerait à en parler à Denethor et je ne veux pas que Faramir se retrouve seul sur les routes pour ce long et dangereux périple. Stupide, puis qu'il patrouille chaque jour dans l'Ithilien, n'est-ce pas ? Mais ce n'est pas pareil.

Ces derniers temps, ce rêve s'il hante mes nuits est bien loin de mes préoccupations. D'Osgiliath, le Mordor est bien visible, et ses lumières de mauvaise augure ne cessent jamais. Nous avons du nous retrancher derrière l'Anduin, et mon frère et moi avons perdu nos hommes dans une futile tentative de défense des ruines d'Osgiliath. Les orcs et gobelins qui tombent sous ma lame, ceux que nous croisons sur la route avec leur paquetage sur le dos... La situation est préoccupante, et j'aimerais leur ouvrir nos portes pour les protéger du mal qui rôde. N'est-ce pas notre mission ? Défendre les peuples libres, défendre les hommes ?
Si ce n'était que cela. Mon père, Denethor a disparu. Plus que ses fils, c'est le Gondor qu'il a abandonné, et une part de moi lui en veut. J'aimerais le retrouver, combattre la folie qui a obscurcit son jugement... Mais à nouveau, encore une fois consacrer mon temps à une seule chose est un luxe que je ne peux me permettre. Des rumeurs concernant une héritière du trône du Gondor circulent, et je ne peux les ignorer. Evidemment que je ne peux les ignorer : je connais la jeune femme, et sa lignée, et je l'ai toujours respectée, apprécié comme une soeur. Mais être son homme-lige, son intendant au sens strict du terme et l'avoir pour reine ? C'est encore autre chose.