Eh bien... Il me semble que je suivais de loin ce qui se passait, depuis Barad Dûr. Je n'avais pas encore quitté le Mordor, mais les rumeurs de la quête de Thorin Oakenshield pour réclamer sa montagne me parvinrent tout de même, entre autre grâce aux bavardages des Orcs, qui se répandirent aussi rapidement qu'une traînée de poudre. De véritables commères lorsqu'ils s'y mettent ceux-là, je vous assure. Ce qui s'avère bien pratique, parfois. J'aurais aimé avoir l'occasion de croiser Smaug, de discuter avec lui. Je suis certaine qu'il avait des choses tout à fait passionnantes à raconter. Et puis qui sait, peut-être mon Seigneur comptait-il sur ma diplomatie pour rallier le grand Dragon à notre cause ? En tout cas, ce qui est certain, c'est que nous avons perdu un sérieux avantage dans la guerre qui s'annonce. Cependant, n'allez pas croire que nous n'avons pas d'autres tours dans notre sac...

J'étais en route pour le Rhûn. Enfin, pour être exacte, je voulais aller m'assurer qu'un royaume en particulier n'avait pas oublié à qui il devait allégeance. Après tout, les Humains ont la mémoire si courte... A mon sens, il vaut mieux leur faire une piqûre de rappel de temps à autres. Histoire d'éviter des trahisons mal venues et des pertes inutiles. Une fois revenue plus à l'Ouest, j'ai eu vent des événements qui avaient secoué la Terre du Milieu, et je dois avouer que je n'ai rien trouvé de mieux à faire que me mettre à rire. Ca me paraît si ridicule. Lorsqu'on se noie, à quoi bon lutter contre le courant ? Mais enfin, si ça leur plaît de prolonger leur agonie, qui suis-je pour les empêcher ?

Je suis plutôt bien placée en ce qui concerne ce point-ci, à vrai dire. Pour diverses raisons qu'il serait trop laborieux dé développer ici, je n'ai pas pu me trouver à Dol Guldur auprès de mon Seigneur. De toute façon, je n'aurais rien pu faire contre le Conseil Blanc. Je suis certes ancienne, mais je suis loin d'avoir le pouvoir de lutter contre les membres qui composent cette maudite assemblée. Je vous déconseille de me sous-estimer, cependant.

Célébrer l'avènement de Sauron comme maître de la Terre du Milieu, bien sûr ! Cela fait des siècles et même des millénaires que j'oeuvre à ses côtés dans ce but, et je ne compte pas en démordre avant que ce ne soit enfin une vérité tangible... Ou que mon cadavre soit en train de nourrir les vers.
J'aimerais aussi pouvoir vivre sans avoir à me cacher dans les recoins sombres du monde, ou bien ne pas avoir à revêtir un masque lorsque je m'aventure hors de nos terres. Mentir ne m'a jamais posé le moindre problème, bien loin de là, mais je suis tellement fière de ce que je suis et de ce que je représente que j'aimerais pouvoir m'exposer au su et au vu de tous sans avoir à redouter un coup de lance dans le dos.

Venant au jour à peine deux semaines avant celle que l'Histoire se souviendra être la plus belle des Elfes, Dagnir fut rapidement oubliée de ses aînés. Ceux-ci ne tarissaient pas d'éloge sur la petite Lúthien, et ce malgré les années qui passaient. De cette attention que l'on portait à cette petite bêcheuse, notre jeune Elfe en couva une grande jalousie. Qu'avait-elle donc de moins qu'elle ? Elle aussi avait une belle chevelure de jais, et certes ses yeux n'étaient peut-être pas d'un bleu cristallin, mais la flamme qu'on pouvait y déceler lui conférait un charme non négligeable. Mais non. Lúthien, encore et toujours Lúthien. Maudite et stupide péronnelle...
Dagnir entreprit d'apprendre l'art du combat auprès de son père, et celui de la politique auprès de sa mère. Des domaines dans lesquels elle s'avéra rapidement douée, bien que son intelligence et sa vivacité d'esprit dominaient de loin sa force pure. Conscient que sa fille ne pourrait jamais rivaliser avec ses adversaires en termes de puissance, il concentra son apprentissage sur la rapidité et l'agilité. Cependant, il était évident que la demoiselle préférait déjà ne pas avoir à sortir sa lame du fourreau, sauf en cas d'absolu nécessité.

Près de deux siècles plus tard, la libération de Melkor donna une bonne raison à Dagnir de poursuivre assidûment ses entraînements. La prudence exigeait qu'elle soit prête à se défendre, si jamais l'envie prenait au Vala de jouer l'un de ses mauvais coups.
La mort de Finwë, le meurtre des Arbres par l'Araignée monstrueuse Ungoliant, et le vol des Silmarils. Ca c'était un sacré mauvais coup ! Se sentant concernée par le but poursuivi par Fëanor, Dagnir fut de ceux qui quittèrent Tirion pour le suivre vers la Terre du Milieu. Convaincue qu'elle faisait ce qui était juste, elle n'eut aucun scrupule à attaquer les Elfes d'Alqualondë.

La disparition de Fëanor, lors de la bataille de Dagor-nuin-Giliath, lui fit perdre ses repères. C'était lui et ses idéaux qu'elle suivait, ni plus ni moins. Perdue et désarçonnée, Dagnir disparut.


Personne n'entendit ni ne vit Dagnir durant tout le Premier Âge. Certains la crurent morte, d'autres avaient oublié jusqu'à son existence. Bien loin d'avoir trouvé la mort lors de l'une des nombreuses batailles qui avaient ponctuée l'Histoire de la Terre du Milieu jusqu'alors, l'Elfe s'était tout simplement fait discrète, à sa manière.
Lorsqu'elle reparut, ce fut aux côtés de Sauron. Enfin, Mairon comme on le nommait encore à l'époque. Nul ne sait exactement pourquoi et comment elle avait décidé d'offrir sa loyauté au Maia. Peut-être le décès de l'Elfe pour lequel elle avait le plus de respect l'avait-elle bien plus affectée qu'elle-même ne voulait l'admettre, ou bien portait-elle un trop grand intérêt à cet être qui la fascinait au plus haut point. Au fond, Dagnir n'était même pas sûre de savoir exactement pourquoi elle se trouvait là. Tout ce dont elle était certaine, c'est que jamais elle ne le trahirait, aussi longtemps qu'elle respirerait.

Fidèlement, elle resta dans le sillage du Maia, gardant toujours un oeil sur les personnes qui s'en approchaient. Autant qu'elle pouvait être loyale, elle craignait la traîtrise des autres. Dagnir étant d'une nature plutôt curieuse à cette époque encore, elle observa avec attention les gestes des forgerons d'Eregion, qui suivaient les enseignements de Mairon. Loin d'être idiote et dans les petits papiers de son Seigneur, l'Elfe pensait avoir saisi où ce dernier voulait en venir, mais ne disait rien. Au contraire, cela la faisait doucement ricaner.

Lorsque la guerre fut déclarée entre Sauron et les Elfes d'Eregion, Dagnir mit un point d'honneur à participer. A sa façon, bien entendu. Se glissant aussi silencieusement qu'une ombre dans le camp ennemi, elle embrouillait les esprits et instillait la peur grâce à ses mots, s'assurant ainsi de déstabiliser au mieux les troupes d'en face. Mais son rôle lors des batailles ne s'arrêtait pas là. En fine stratège, elle coordonnait parfois les assauts, et il lui arrivait de se retrouver elle-même sur le champ de bataille. Même si ça ne l'enchantait guère...

La capture de Mairon par le Roi Ar-Pharazôn de Númenor, manqua de peu de rendre Dagnir folle. De rage, de désespoir, de tristesses, choisissez l'adjectif qui vous plaît le plus, il n'y a que l'embarras du choix. L'Elfe décida de se faire discrète à nouveau, et une fois de plus, elle disparut sans laisser de traces.
Ce n'est qu'en 3429 du Second Âge qu'on la voit réapparaître. Elle aida à la prise de Minas Ithil, avant d'être envoyée par Sauron à l'Est, vers le Rhûn. Ses ordres sont de rallier le plus de royaumes possible à la cause du Mordor, une tâche dont elle s'acquittera avec zèle.


Après la défaite de Sauron, Dagnir resta cachée durant des années et des années, allant d'une région à une autre. Ceci dit, elle évitait toujours soigneusement Fondcombe et la Lorien, n'ayant guère envie de se retrouver nez à nez avec Elrond ou Galadriel, qu'elle soupçonnait capables de déceler sa véritable allégeance. Et comme il n'était pas dans ses plans de se faire capturer, elle estimait qu'il valait mieux ne pas jouer avec le feu et essayer les croiser le moins possible, voire de ne jamais les croiser, ce qui était encore mieux.

Les siècles s'égrainèrent lentement, et bien qu'elle resta attentive, aucun signe ne parvenait à l'Elfe. Si bien qu'elle commença à prendre peur. Et si le dernier coup porté à son Seigneur l'avait trop affaibli pour qu'il puisse se relever ? S'il ne devait jamais revenir ? Une hypothèse qui l'effrayait au plus haut point, car alors, que deviendrait-elle ? Attendre des millénaires n'était pas un problème pour elle, du moment qu'elle savait que quelque chose l'attendait bel et bien au bout... Mais là, Dagnir n'avait aucun moyen de le savoir. Cet inconnu qui s'étendait là, juste sous ses pieds, la rendait nerveuse, et la déstabilisait. Elle craignait d'être devenue l'une de ses vieilles reliques du passé, poussiéreuse, et inutile.

Lorsque enfin un murmure s'éleva parmi les serviteurs de Sauron, un profond soulagement la gagna. L'Elfe, qui s'était réfugiée au Mordor, commença alors à tenter de rassembler les quelques forces qui se trouvaient là. Ordonner des Orcs, vous avez déjà essayer ? Ce n'est pas une partie de plaisir ! Mais Dagnir fit de son mieux pour mettre au pas ceux qui se trouvaient là, y allant à grands coups de menaces et de bottes dans leurs derrières crasseux. Non, elle n'avait pas peur qu'ils se retournent contre elle. Pas le moins du monde. Car si les Orcs craignaient la réputation de l'Elfe et ses capacités à manier le sabre, ils craignaient encore davantage la colère de leur Maître si ce dernier venait à apprendre qu'ils avaient tué celle qui était devenue, au fil des ans, certainement sa plus fervente fidèle et une grande prêtresse aussi zélée qu'elle était efficace en tant qu'espionne.


A présent, Dagnir a repris ses errances en Terre du Milieu, semant le doute par-ci par-là, incitant ceux qu'elle estime utiles à se rallier à la cause de Sauron. Infatigable depuis des millénaires, elle continue de tout donner pour hisser l'ancien Maia au rang qu'elle lui croit dû, et ne recule devant rien pour cela.
Si d'aventure vous la croisez, essayez de ne pas la contrarier. A moins que ne vouliez visiter les geôles de Barad Dûr. Quoique paraît-il que c'est tout à fait charmant, à cette période de l'année.