Assise sous l’ombrage bienveillant d’un arbre, l’elfe regardait sans voir l’eau qui ondoyait dans un bassin. Son coeur était serré et plein d’inquiétude. Son esprit vagabondait en direction de Fondcombe, s’attachait à deviner les pas de ses enfants mais surtout de son époux. Alors ses yeux se décillèrent et son coeur s’arrêta un instant en voyant la grande reine, celle que tous aimaient, avancer alors qu’un pli inquiet barrait son noble front. Alors l’elfe se leva et partit s’enquérir de ce qu’il se passait en Terre du Milieu.

Inquiète, tourmentée et agacée de son inaction, Celebrían plaidait sa cause face aux Valars, les suppliant de la laisser retourner auprès des siens. Ne supportant plus de rester à attendre au lieu d’agir, son regard ne cessait de vagabonder pour toujours s’arrêter sur Elle, leur dame d’étoiles et de lumière, la sage Varda. Elle avait eu l’occasion de confier ses inquiétudes à l’épouse de Manwë et comptait sur sa mansuétude et sa compréhension. Cependant, elle obtint ce jour-là ce qu’elle désirait à une terrible condition…

Si Celebrían a oublié jusqu’à son nom par la volonté des Valars, elle sait néanmoins que Sauron est de retour. Si elle reste insensible à la corruption grâce à son séjour aux Terres Immortelles, elle sent pourtant le mal se répandre. Nul besoin que quelqu’un lui conte les actes du Conseil Blanc : en arrivant en Terre du Milieu, l’elfe a ressenti immédiatement la présence de Sauron. Malgré tout, il n’en reste pas moins que le mal qui avance en ces terres la rend malade et fait naître en elle de curieux sentiments guerriers. Pour peu, elle se mettrait en tête de le combattre et de se jeter à corps perdu dans la bataille si une âme bienveillante ne venait pas sans cesse la raisonner.

Bien qu’elle ne s’en souvienne pas, l’elfe est animée par le désir de retrouver sa famille. Loin d’elle l’idée de combattre le mal, elle n’a pas cette prétention. Elle désire juste retrouver les siens. Malgré sa perte de mémoire, elle ressent le besoin de trouver. Trouver quoi, trouver qui ? Elle l’ignore mais ressent un vide terrible et désire le combler. Alors bien sûr elle souhaite la paix dans le monde et ce genre de chose que l’on attend d’une belle et douce créature comme elle, mais rien n’importe davantage que de retrouver sa famille… et surtout celui dont elle ne se rappelle plus le nom, mais dont le sourire reste une impression de chaleur fugace qui n’a jamais quitté son coeur.

« Les miens ont besoin de moi. » « N’est-ce pas plutôt toi qui a besoin des tiens ? » L’elfe se recroquevilla sur elle-même alors que tonnait la voix du Valar Ulmö. Il disait vrai. Elle ne supportait plus de tourner en rond, de s’abîmer dans l’attente et l’oisiveté. Si cela lui avait convenu un temps, ça n’était plus le cas désormais et elle ressentait le désir impérieux de voguer à nouveau. Ce même appel l’emmenait au delà des eaux vers la terre qui avait causé sa perte et nul repos n’était à présent possible pour elle. Son esprit tourmenté d’inquiétude et nourrit par l’inaction la mettait au supplice. Alors elle se redressa, releva la tête. Oh bien sûr elle tremblait, qui ne l’aurait pas fait à sa place ? mais son regard était déterminé. « J’ai besoin des miens. Ils me manquent. » C’était aussi simple que cela. Oh évidemment, d’autres étaient dans son cas mais ne venaient pas réclamer aux Valars un retour auprès de leurs familles. C’était plus compliqué que cela, un mélange subtil entre l’inquiétude et la culpabilité, mais de tout cela transparaissait l’amour sans limite qu’elle éprouvait pour eux.

« Je sens l’appel. » Elle n’avait pas besoin d’en dire plus. Tous savaient ce que cela signifiait. Combien d’Eldars avaient ressenti l’impérieux appel de la mer, avaient vogué vers les terres immortelles ? Il était néanmoins curieux, inhabituel que l’un d’eux veuille faire le chemin inverse. Glorfindel l’avait fait, quelques autres également mais ils étaient une exception. Des guerriers, ceux qui pouvaient aider. Qu’aurait-elle pu faire ? Elle, si douce et si paisible, n’était pas faite pour la guerre qui se profilait. C’était trop dangereux. « Je ne suis pas un soldat. Je ne suis pas aussi puissante que peut l’être ma mère. Mais je veux aider et protéger les miens du mal. Vous ne pouvez m’enlever ça. » Un infime hochement de tête ponctua les paroles de l’elfe. Varda la belle, la sage, semblait être de son avis. Yavanna se joignit à elle et l’elfe en eu les larmes aux yeux. Pourtant à voir les regards qu’échangeaient les autres Valars, elle avait peu d’espoir. Aussi leur réponse la surprit-elle…

« Les oublier ? » Son coeur semblait s’être arrêté. Tel était le prix à payer pour qu’elle puisse retourner en Terre du Milieu. « Tout oublier. Tu oublieras les tiens, tu oublieras ton passé, jusqu’à ton nom. Et tu retourneras alors en terre du milieu. Tu devras les retrouver sans même savoir qu’ils existent et ce qu’ils ont été pour toi. » C’était sans doute pour la décourager qu’une telle condition lui était imposée, mais également pour qu’elle ne délaisse pas le rôle qu’elle pouvait jouer dans la bataille contre le mal. Et les voies des Valars sont impénétrables. Mais l’elfe se redressa et posa son regard serein sur les seigneurs et dames de ces lieux. Oui elle avait peur, oui elle savait ne pas être une grande guerrière. Mais elle avait confiance, plus que jamais, en sa famille ses chers enfants qui lui manquaient tant. Et surtout en Lui. On pouvait effacer sa mémoire. On pouvait effacer son nom. Mais elle savait que son coeur n’avait jamais quitté les siens, elle n’avait aucun doute là-dessus. « J’accepte. » Elle le savait. Si elle ne Le retrouvait pas, alors Lui saurait la trouver, toujours.


« Comment tu te sens ? » L’elfe sursauta et reporta son attention sur son compagnon, laissant échapper un petit rire nerveux. Elle s’était encore laissée absorbée par ses pensées et cette curieuse impression familière qui la traversait parfois. Un bref éclair de chaleur qui semblait se loger dans sa poitrine, la réchauffant délicatement avant de s’évanouir lui laissant ce curieux sentiment de manque. « Bien. Merci de tant t’inquiéter pour moi Sephiran. Je suis un peu perdue. » Il s’approcha et tapota sa tête d’un air faussement bourru qui lui arracha un petit rire. « Tu ne te souviens plus qui tu es. Pas même ton nom, ça me paraît plus que normal, Elenna. » Lorsqu’elle s’était éveillée, sans le moindre souvenir, il était à côté d’elle cet elfe étrange au regard triste et mélancolique. Il l’avait pourtant rassurée, lui avait expliqué qu’ils venaient tous deux des terres immortelles. Et lorsqu’elle avait levé des yeux émerveillés vers la voûte céleste, il lui avait donné un nom : Elenna, vers les étoiles. Ils avaient débarqués aux havres gris et lorsqu’il lui avait proposé de rester quelques temps à ses côtés elle avait accepté avec joie.

Au fil des jours elle s’était attachée à ce compagnon taciturne qui ne parlait pas volontiers de lui. Mais la joie qui l’habitait était telle qu’à force de rires et de chants elle avait réussi à lui tirer quelques mots, parfois un sourire et même des informations. Il attendait une personne qui lui était chère, sa moitié, son épouse. En l’écoutant parler de sa chère Lalaith, l’elfe se demandait si elle aussi attendait quelqu’un. Quelque chose du moins, une chose dont elle avait la vague réminiscence et qui parvenait à combler un vide en elle l’espace d’un instant. « Elle te manque beaucoup ? » Il hocha la tête. « Plus que tout. Et toi, quelqu’un te manque-t-il ? » Elle baissa les yeux pensivement, à la recherche de cette étrange émotion qui la saisissait parfois. « Je ne sais pas. » Elle ne surprit pas le regard à la fois triste et résigné de son ami, comme s’il savait des choses qu’elle ignorait. Plus rien ne subsistait dans son esprit précédant ce réveil sur le navire qui l’emmenait… où ?

Les jours s’étaient écoulés tranquilles et paisibles aux havres gris, semblables et pourtant porteurs d’une tension qui préoccupait l’elfe. Nerveuse, elle regardait toujours du côté de la route. « Je repars à Valinor Elenna. » Elle avait dévisagé son ami sans comprendre. « Mais… et ton épouse ? Tu ne la cherches pas ? » Il avait détourné le regard, peut être pour cacher la culpabilité qu’on pouvait y lire, mais lui avait tendu la main. « Viendras-tu avec moi ? Tu ignores ce que tu es venue chercher ici. Rentrons, notre temps sur ces terres est révolu. » Elle fixait cette main amicale et séductrice, rassurante et familière qui lui proposait d’aller là où ils seraient sereins, en sécurité. Et la repoussa avec un sourire triste. « Si je suis venue ici c’est que j’avais une bonne raison. Adieu Sephiran. J’espère que Lalaith te reviendra. » Elle avait pris la route seule malgré les mises en garde des autres elfes, malgré les supplications de son ami. Elle s’accrochait à cette émotion ténue. Elle devait retrouver… ce pour quoi elle avait entrepris un tel voyage.


« Crois-tu que tes proches t’aimeront ainsi ? Tu auras changé, tu as déjà changé. » Elle avait levé les yeux vers Ulmö et s’était contentée de sourire, tristement. Peu importait. Elle n’ignorait rien des difficultés qu’elle allait devoir affronter, des risques qu’elle courait en abandonnant ses souvenirs. « Ils sont là. Ils le seront toujours, que je m’en souvienne ou pas. » La main sur le coeur, elle s’était inclinée. Elle avait changé. Elle ne se doutait pas à quel point elle changerait encore.