Quelques questions pour vous...
▲ Elle doit faire un minimum de 30 lignesPARTIE 1 : ONCE I MET THE FIRE GOD.
xIl y avait tout d'abord eu ce bruit assourdissant. Les fondations-mêmes de la montagne avaient tremblé. Puis il y avait eu le feu. Qui s'infiltrait partout, qui détruisait tout. Les murs s’effondraient, les nains hurlaient, la montagne se déchirait de l'intérieur. Enfin, acculée, effrayée, il y avait eu cette certitude. Ce sentiment qui prend racine jusque dans le ventre. Je vais mourir. Je vais mourir. Je vais mourir.
Et avant de fermer les yeux pour la dernière fois, j'avais été aveuglée par ces flammes.
C'était la douleur dans mon avant-bras qui me poussait à finalement reprendre conscience. L'odeur âcre de la fumée et la chaleur de l'incendie avaient disparu. J'étais ballottée dans un chariot, à en juger par le grincement des roues, et enveloppée dans de nombreuses couvertures. Allons bon, j'avais encore fait un cauchemar. J'en faisais souvent, ces derniers temps.
« Tu es réveillée ! »Ma mère. Rien d'anormal à sa présence. Mais le ton de sa voix avait changé, elle avait pleuré. Quelque chose était arrivé. Je compris que je n'avais pas rêvé. Elle et le guérisseur chargé du chariot des blessés m'expliquèrent la situation. Erebor, notre maison, avait été attaquée par un gigantesque dragon. Les pertes étaient très lourdes. Les nains avaient dû fuir leurs foyers, en espérant trouver un avenir meilleur. Fort heureusement, nous n'avions perdu aucun membre de la famille. Moi, en revanche...
« … il semblerait que le dragon soit passé tout près de ta chambre. Les murs se sont écroulés, et tu as été projetée à terre. Malheureusement, ma chérie, -- »La pitié qui dégoulinait de sa voix m'énervait. Ses mots faisaient remonter des souvenirs encore trop vifs. Les flammes, le bruit, l'ombre calcinée de confrères, trop de choses qu'il valait mieux oublier.
« J'en ai assez entendu. Je ne veux pas revivre tout ça. Je veux me lever, sortir de cette maudite chariotte, je veux voir le soleil. »Ne serait-ce que pour m'assurer que, malgré tous ces malheurs, le soleil brillait encore. Ce n'était pas la fin du monde.
« Mais d'abord, je veux qu'on m'enlève le fichu bandeau que j'ai sur les yeux. »Un silence de mort suivit ma demande. J'avais déjà commencé à me lever, mais mes gestes se figèrent soudain. J'aurais pu lever la main pour dénouer le bandeau moi-même, mais la peur m'en empêcha. Peut-être était-ce bel et bien la fin du monde, après tout.
« Il n'y a pas... de bandeau... n'est-ce pas ? »Ma mère pleura beaucoup ce jour-là.
Alors, oui, j'étais aveugle. Personne ne savait vraiment comment ni pourquoi. Le guérisseur pensait que c'était dû au choc de ma tête contre le sol. Moi je ne voulais pas savoir le fin mot de cette histoire. J'avais rêvé de devenir une grande guerrière, vous savez. De connaître tous les secrets de la hache, de l'épée, et autres armes forgées par notre peuple. De défendre ma patrie contre vents et marées, contre orcs et elfes. Et désormais, que faire ? J'avais à peine vingt ans, et je n'étais même plus capable de me déplacer seule. J'étais à l'image de mon peuple. Meurtrie, perdue, profondément triste. En colère, aussi. J'en voulais aux Dieux de m'infliger ça.
Les premiers jours, j'avais essayé en vain de descendre du chariot par tous les moyens. Je ne supportais pas les gémissements des blessés, l'obscurité totale, les voix compatissantes tout autour de moi. Tout le monde nous parlait comme si nous étions sur le point de mourir. Je n'étais pas malade, j'étais juste aveugle ! Était-ce si tragique que cela ?
Par-dessus tout, je ne supportais plus ma mère. Même une fois arrivés aux Ered Luin, elle m'assistait sans cesse. Elle me tenait par le bras partout où j'allais, elle me prévenait du moindre caillou sur mon chemin. Elle pensait bon de me décrire le paysage. J'aurais adoré découvrir les Montagnes Bleues par moi-même, mais l'entendre forcer l'extase devant chaque brin d'herbe était au-dessus de mes forces. Elle voulait bien faire, et elle en faisait trop. Je voulais simplement un peu de liberté, de tranquillité. J'avais besoin de temps pour accepter ma nouvelle vie. La vie d'une ombre emprisonnée parmi les ombres.
Au fil des semaines, j'étais parvenue à me repérer dans l'espace. Je rencontrais moins de murs qu'avant. On m'avait trouvé une canne de fortune pour éviter les obstacles sur ma route. Mais, même sans les voir, je sentais les regards posés sur moi lorsque je passais. Les conversations soudain étouffées, les murmures inquiets. On se demandait ce qu'on allait faire de moi. Un nain aveugle ne peut pas miner, ne peut pas se battre, c'est à peine si, avec le temps, il est capable de se gérer lui-même. J'étais devenue un poids pour notre peuple, déjà fragilisé par la perte d'Erebor. Alors le soir, en cachette, je m'entraînais. Ma canne était ma nouvelle épée et mes quelques oreillers faisaient un redoutable adversaire. Après tout, j'avais déjà appris les bases du combat, comme tout futur guerrier qui se respecte, à mon âge. Tout n'était pas perdu. Plus tard, lorsque mes oreillers cessèrent d'être des ennemis menaçants, je voulus passer au stade supérieur.
« Mon élève ? »Le maître d'armes faisait transparaître dans sa voix toute sa surprise, sans même dissimuler son mépris. Il y avait fort à parier qu'il avait même un sourcil relevé. Sa réaction était sans doute compréhensible. Mais je ne me démontais pas. J'avais répété cet échange plusieurs fois dans ma tête.
« Je sais que ça peut paraître impossible, mais j'en suis capable. Laissez-moi vous le prouver. C'est à vous que revient d'accomplir l'exploit de faire d'une aveugle une guerrière accomplie. Si seulement vous acceptez de faire de moi... votre élève. »PARTIE 2 : WHEN WE HIT OUR LOWER POINT, WE ARE OPEN TO THE GREATEST CHANGE.
xPour une raison obscure, le maître d'armes avait accepté. Deux ans durant, je m'étais entraînée à ses côtés. Il m'avait appris à utiliser mon ouïe pour suivre les mouvements de mon adversaire. Ce que je tirais de ces entraînements m'aidaient même à mieux appréhender le monde extérieur. Je me déplaçais quasiment normalement, et même sans ma canne dans les endroits que je connaissais le plus. Et puis, vous savez, nous les nains, nous avons l'habitude de l'obscurité de nos grottes. J'arrivais enfin à voir l'issue de mon calvaire. Je ne verrai plus le soleil, mais j'étais devenue une enfant de la lune. Les ombres étaient mon royaume. J'étais même parvenue à me spécialiser en combat. J'affectionnais tout particulièrement les épées jumelles. Bien positionnées, elles me protégeaient de tout ce que mes yeux ne pouvaient voir.
Mais un jour, je sentis l'étau se resserrer, et mon espoir s'estomper. Le maître d'armes me confrontait désormais à ses autres élèves. Le temps de la sélection était venu : il ne gardait que la moitié de ses combattants, pour en faire de vrais guerriers. Les autres devraient rentrer chez eux. Je pensais être prête pour tout affronter, mais à vrai dire, j'ai mordu la poussière. Combat après combat, les élèves ne me faisaient aucun cadeau. Chacun voulait prouver sa valeur. Mais pour rien au monde je n'aurais voulu de traitement de faveur. J'étais décidée à être une guerrière comme les autres.
Pourtant, je devais me confronter à ce que je refusais d'admettre.
« Hàti, je suis désolé, mais on ne peut pas continuer. Tu as perdu tous tes combats cette semaine. » « Maître, vous savez que j'ai besoin de temps ! Je me suis améliorée, j'ai tenu chaque jour un peu plus longtemps ! Vous ne pouvez pas m'ordonner de partir, pas après tout ce que j'ai accompli ! »Mais le maître d'armes était resté silencieux. Sa décision était prise. Je devinais par son mutisme qu'il regrettait de devoir faire ce choix. Il m'appréciait, et moi je l'admirais.
Lentement, j'ai lâché mon arme et j'ai repris ma canne.
« Ca va faire quatre jours que tu n'es pas sortie de ta chambre. Tu n'arrives plus à manger correctement. C'est comme si... comme si... »« Comme si j'étais aveugle ? Merci maman, mais j'avais déjà remarqué. »J'étais incroyablement cruelle avec elle, mais j'étais encore trop amère pour refréner mon cynisme. Elle avait raison, pourtant. Depuis que j'avais été renvoyée de l'entraînement, c'était comme si j'avais régressé de deux ans. J'avais perdu mes repères. Je n'arrivais plus à me déplacer sans ma canne, je ratais des marches, je rencontrais des murs. J'avais perdu la seule chose qui me faisait avancer. Mes rêves avaient été réduits à néant, et ma volonté avec eux.
« Tu devrais te faire une raison, ma chérie. »Elle avait raison, bien sûr, mais pas exactement de la façon dont elle l'imaginait.
La salle était vide à l'exception du maître d'armes, que je reconnaissais grâce à sa respiration sifflotante. Je m'étais emparée de deux épées d'entraînement.
« Affrontez-moi. Si je gagne, vous me reprenez comme élève. »Si je perds ? Non, je n'avais rien à perdre.
« Hàti ? Tu sais bien que tu ne peux pas gagner... » « Sans doute, mais au moins je pourrai dire que j'aurais tout tenté. Je me serais fait une raison. »Le combat était intense. Le maître d'armes ne laissait rien passer. Il dansait autour de moi, le sifflement de sa respiration me donnant presque le tournis. Je parvenais difficilement à maintenir le rythme, assez du moins pour parer ses coups. Il frappait encore et encore, et je me réfugiais derrière mes armes. Mais soudain, sa respiration s'altéra. Il venait de faire une erreur. D'un coup d'épaule, je le repoussai pour reprendre l'avantage. Le combat s'équilibrait enfin. Pour la première fois, j'oubliais que j'étais aveugle. Mon esprit était concentré sur chacun de mes mouvements, qui s'enchaînaient avec une fluidité dont je me pensais incapable. Tout mon corps était tendu vers mon opposant, c'était comme s'il n'y avait rien d'autre au monde. C'était comme si, pour une fois, je pouvais gagner.
Soudain, j'entendis son pied glisser sur le sol. Le temps pour moi de comprendre ce qu'il faisait, il était déjà trop tard : d'un mouvement de jambe, il m'avait renversée. Ma tête se cogna contre le sol. Ma chute fit remonter d'horribles souvenirs, ceux d'une chute similaire, deux ans auparavant. J'étais tombée au milieu des décombres, avec le bruit sourd de la Montagne qui s'écroulait, et le feu. Ces flammes qui avaient été les dernières choses qu'il m'eût été données de voir.
« Non !! »J'avais lâché mes armes et mis mes bras en croix pour protéger mon visage. J'entendis le maître d'armes soupirer, et la vision disparut enfin. J'étais de nouveau dans la salle d'entraînement. Ne restait que ma défaite.
« Tu crois pouvoir faire tant de choses mais tu n'en es pas capable, Hàti. Il est temps pour toi d'accepter cela. »Je sentis sa main tâtonner sur mon bras. Il m'aida à me relever.
« Tu te défends bien, mais tu ne pourras jamais être une guerrière. »C'était une vérité que je refusais d'entendre depuis trop longtemps. Ne pas pleurer, surtout ne pas pleurer. Je ne voulais pas perdre ma dignité, c'était encore la seule chose qui me restait. Après un salut respectueux, je quittai définitivement la salle d'entraînement. Durant de longs moments, j'ai erré dans les Ered Luin, en tentant de contenir ma déception. En cherchant un sens à mon existence. Au détour d'un couloir, les effluves d'encens me parvinrent. C'était l'encens du temple.
L'odeur me guida jusqu'à l'autel de Mahal. Je n'avais jamais vu celui des Montagnes Bleues mais je le devinais à l'image de celui d'Erebor, imposant l'ordre divin de toute sa stature. Comme s'il se moquait de mon sort. Dès lors, mes jambes cédèrent sous mon poids. A genoux, je sentais les larmes couler sur mes joues et ma poitrine se soulever sous mes sanglots.
« Pourquoi ? Pourquoi m'infliger ça, à moi ?! … Qu'est-ce que je t'ai fait pour mériter une telle malédiction ? » « Tu es triste, et en colère, mais tout n'est peut-être pas si noir. Mahal t'a sauvé la vie en échange de la vue, là où tant d'autres ont péri ce jour-là. Tu n'es pas la plus malchanceuse. »Seuls les frottements de ses vêtements avaient révélé l'arrivée du prêtre devant l'autel. Il s'était agenouillé à mes côtés, sa main sur mon épaule tentait d'apporter vainement du réconfort.
« Je laisse ma place à qui veut, je ne veux pas de cette vie-là. J'aimerais mieux être morte ! »J'avais craché ce dernier mot. C'était une pensée qui m'occupait l'esprit depuis mon accident, mais que je n'avais jamais osé formuler. Et si quelqu'un était devenu aveugle à ma place ? Je n'avais plus de raison de vivre, de toute manière. Une guerrière aveugle, c'est quelque chose de stupide. Cela ne pourra jamais exister. J'avais besoin de mes yeux, et on me les avait arrachés. Mahal ne m'avait pas sauvé, il m'avait simplement rendue misérable.
Mais, face au silence du prêtre, je regrettai mes mots. Je repensai à tous ceux qui avaient été perdus face au dragon. Aux familles détruites, aux orphelins, aux veufs. Alors, non, je n'étais peut-être pas la plus malchanceuse. Peut-être pas non plus la plus malheureuse.
« Tu sais, jeune fille, il y a ceux qui considèrent la cécité comme un don des Dieux. Ton esprit n'est plus encombré par la matérialité des choses qui t'entourent. Tu ne vois plus, et c'est précisément la raison pour laquelle tu peux mieux percevoir les signes divins. » « J'espère que les Dieux n'ont pas d'autres dons en réserve pour moi, parce que j'en ai assez de me cogner dans tous les coins de table. »J'esquissai un sourire. Je connaissais mal ce prêtre, mais sa vision semblait tellement différente de celle des autres. Là où tout le monde me traitait avec pitié, comme la pauvre petite fille aveugle que j'étais, lui me parlait posément, avec une certaine sévérité dans la voix. Il me prouvait qu'il était temps que j'arrête de m'apitoyer sur mon sort.
« Si tu le souhaites, les nains comme toi peuvent toujours trouver une place dans la maison de Mahal. »PARTIE 3 : FATE'S CRUEL SENSE OF HUMOR.
xJe m'étais résignée. Tharik, le prêtre, avait décidé de faire de moi son apprentie. J'allais apprendre à servir les Dieux, pour devenir un jour, si je me montrais assidue, une prêtresse de Mahal. Ce n'était pas une perspective très engageante. Je n'avais jamais été une croyante très fervente. Je priais tel qu'on me l'avait enseigné, je respectais les rituels de notre peuple, mais sans rien accomplir de plus. A quoi bon ? Si les Dieux étaient véritablement nos protecteurs, ils n'auraient pas laissé Erebor brûler sous le feu du dragon. S'ils veillaient sur nous, ils ne m'auraient pas laissé perdre la vue. Un jour, quelques semaines après mon entrée à son service, je fis part de ces doutes à Tharik. Après un temps, il avait posé son bol pour prendre le temps de me répondre.
« Qui te dit que ce n'est pas justement parce qu'ils veillent sur toi qu'ils ont pris tes yeux ? » « Je suis à peu près sûre que quand on veille sur quelqu'un, on le protège. On le laisse pas devenir aveugle. »Il eut un petit rire étouffé. Je n'étais pas certaine de saisir le comique de la situation. Niveau protection, les Dieux n'avaient pas fait leur travail.
« Ou peut-être qu'en te rendant aveugle, ils t'ont conduit vers ta véritable destinée. Tu n'aurais jamais visité l'autel sans cela, tu ne serais jamais devenue mon apprentie. »J'avais rêvé d'une meilleure destinée que celle d'enfiler des robes un peu moches pour servir une entité que je ne rencontrerai jamais. Toute ma vie avait été construite autour de mon rêve de devenir guerrière. Si mon destin avait vraiment été de devenir prêtresse, je ne manquerais pas tant de foi.
« Sans vouloir vous vexer, je ne pense pas être faite pour servir les Dieux. » « Et ton rêve, alors ? » « ...Faut vraiment que vous arrêtiez de parler avec ma mère. »Il fallait bien sûr qu'il revînt sur l'histoire du rêve. Quelques jours avant l'attaque d'Erebor, j'avais fait un cauchemar. J'avais rêvé de la Montagne Solitaire en ruines, et ce rêve avait été plus ou moins récurrent jusqu'à l'arrivée de Smaug. Ma mère, très fidèle aux Dieux, y avait vu une prémonition ou je ne sais quelle signification spirituelo-religieuse. Elle en avait parlé avec Tharik avant même mon combat contre le maître d'armes. Ils s'étaient persuadés entre eux de ma capacité à entrer en contact avec les Dieux. Je n'avais aucun avis sur le sujet. A quoi bon ? C'était désormais du passé. Je me contentais d'avancer du mieux que je pouvais. Pour le reste, je laissais ça aux autres.
« Voici Mîm. Il t'aidera pour tes devoirs de servante, et devra désormais t'accompagner partout où tu iras. »La nouvelle fut accueillie par un silence interloqué.
« … Un corbeau ? Qu'est-ce que je suis censée en faire, le taper partout sur le sol pour vérifier qu'y a pas d'obstacles devant moi ? »Un froissement d'ailes m'indiqua que le corbeau s'était agité, sans doute vexé par la remarque. Sa voix perchée me confirma qu'il était blessé dans son amour-propre.
« Elle est douée pour se faire des amis, votre copine. » « La copine elle est aveugle, pas sourde. Tharik, c'est une belle attention, mais je n'ai pas besoin d'un garde-malade. Encore moins s'il croasse toute la journée. »Mais le prêtre ne l'entendait pas de cette oreille. Ce n'était pas tant une attention qu'un ordre, en vérité. Il était tant de dire adieu à ma canne. Elle ne me donnait sans doute pas un air très professionnel... En revanche, l'oiseau était essentiel pour le bon fonctionnement du temple. Résignée une nouvelle fois encore, j'avais accepté cet arrangement. Tharik nous quitta pour s'occuper d'autres affaires, et le corbeau vint se percher sur mon épaule, ses serres fermement accrochées à ma peau pour se maintenir en équilibre.
« Tu t'es cru sur un perchoir ? T'as intérêt à voler, mon grand, je vais pas te laisser m'utiliser comme transport. » « Attention au mur, devant. » « Ahah si tu crois pouvoir me mener à la baguette... Je connais cet endroit par co-- »AÏE. Bon, d'accord, il avait gagné cette fois-ci.
Tharik commençait à se faire vieux. Il tirait sur son troisième siècle, mine de rien. Les années étaient passées sans même se faire sentir. J'étais désormais une apprentie accomplie. Poussée par le prêtre, j'avais même endossé le rôle d'oracle. Rien de bien méchant, rassurez-vous. Disons que je devais fumer quelques herbes un peu inhabituelles, qui me brûlaient toute la voie nasale, en passant, et ensuite sortir une phrase assez obscure pour pouvoir être appliquée à n'importe quel événement futur. La vie n'était pas si désagréable en fin de compte, même si j'avais toujours autant de mal à m'ouvrir aux voies mystiques auxquelles Tharik aspirait tant.
« Alors, Hàti, est-ce que vous pensez que Mahal va venir en aide à ma famille ? » « Non. »Il m'énervait. Avec sa voix tremblotante, à genoux devant l'autel, comme s'il s'apprêtait à recevoir la grâce divine. Tout le monde y croit. Tout le monde pense toujours que, juste parce qu'on prie très fort, cette fois-ci, juste cette fois-ci, les Dieux feront un effort. C'était une erreur.
« Vous êtes sûre ? Je veux dire... vous avez eu un signe ? » « Vous voulez un signe, je vais vous en donner un. »J'essayais de ravaler mes soupirs. Il devait faire deux fois mon âge, mais il me paraissait tellement plus naïf. Désespéré aussi, mais en cela, quelque part, il me ressemblait. Je m'étais levée et l'avais conduit à une petite table à l'écart.
« Bougie. … … Oh Mîm, allez, apporte-moi une bougie. »Le corbeau en rapporta une entre ses serres qu'il lâcha au-dessus de ma main tendue, avant de repartir pour bougonner dans son coin. Tant pis, j'irai m'excuser plus tard. J'avais allumé la bougie. Je pris les mains du nain et levai les yeux au ciel. Ca ne changeait absolument rien, évidemment, mais lever la tête vers les cieux donnait toujours un petit effet mystique. Au bout de quelques instant, je relâchai ses mains.
« Vous voyez ? Rien. Aucune aide ne viendra ni pour vous ni pour votre famille, vous devrez vous débrouiller seuls. Les Dieux nous ont abandonnés depuis longtemps, ils ne se préoccupent plus de notre sort. Vous perdez votre temps en prières, quand vous devriez chercher une solution à vos problèmes. »Le nain ne répondit pas, sans doute resté coi devant ma franchise. Les autres serviteurs du temple ne parlaient pas comme ça. Ils lui auraient plutôt dit d'attendre le bon moment, que Mahal n'abandonnait jamais ses enfants les plus fidèles. Des mensonges. Un tas de mensonges. J'en avais assez de cette masquarade.
« Hàti ? Que t'a-t'il fait pour mériter un tel traitement ? » « Tharik ? Je... Il passait ses journées ici, il était temps qu'il voie la réalité en face. »Le prêtre s'était approché, me laissant soudain honteuse face à mes actes. Il avait toujours eu ce don pour me mettre face à mes propres erreurs, mon propre orgueil. Il savait me remettre dans le droit chemin.
« Tu détestes donc les Dieux tant que ça ? Tu as perdu foi en eux ? » « Je leur en veux. Pourquoi nous délaissent-ils ? Ils ont laissé Erebor brûler sans même intervenir, ils laissent tant de gens souffrir et mourir sans rien faire... »Oh non, je m'étais mise à pleurer. Stupide, stupide que j'étais. Je sentis le bras de Tharik autour de mes épaules.
« C'est à cause de ton frère, n'est-ce pas ? » « Ils l'ont laissé mourir ! Pendant des semaines, j'ai prié jusqu'à ce que mes genoux en soient meurtris, et j'ai prié encore. Vous dites que je suis en connexion avec eux, mais les Dieux ne m'ont pas une seule fois écoutée. Il était si jeune, trop jeune, mais est-ce que Mahal l'a sauvé ? Non. Il l'a laissé agoniser. Il nous laisse tous agoniser. »Mon petit frère avait été malade de nombreuses lunes durant. Les guérisseurs n'y pouvaient rien, et son état s'était empiré. Maman ne serait plus jamais la même, désormais. Les Dieux lui avaient pris pire que sa vue, ils lui avaient arraché sa chair et son sang.
PARTIE 4 : MISTY EYE OF THE MOUNTAIN BELOW.
xJe n'avais pas délaissé mes devoirs pour autant. C'était la seule chose qui me donnait une raison d'exister. Sans le temple, je redevenais un poids mort, une pauvre petite aveugle. Je servais des maîtres cruels et absents, mais je les servais toujours. Cependant, un jour, une lueur d'espoir apparut pour le peuple des Nains. Le temps était venu de reprendre Erebor. Pour fêter le départ des fils de Durin, les Ered Luin avaient organisé un rituel. Sur une ancienne pierre, venue des mines de la Montagne Solitaire, je devais lire l'avenir de l'expédition. Lire dans les pierres faisaient partie de ma formation. C'était une des rares choses que j'étais capable de lire, d'ailleurs. Les aspérités du rocher étaient à déceler et à interpréter. J'avais beau ne pas beaucoup y croire, c'était une activité qui me plaisait. Comme si l'on déchiffrait un vieux manuscrit.
Entourée par la foule, qui attendait mes prédictions, je déplaçais mes doigts sur la pierre. Ici, quelques bosses.
« Le chemin sera semé d'embûches. »Un murmure parcourut l'assistance. Évidemment que ça ne serait pas une balade de santé. Jusque là, j'avais très certainement raison. Je continuais mon parcours. Là, un trou important, comme creusé par la pointe d'une pioche. Enfin quelque chose d'intéressant.
« Je lis la mort d'un être, un être gigantesque... Oui, Smaug sera terrassé ! »Vraie ou pas, cette nouvelle apportait du baume au cœur. Et même si j'avais tort, personne ne viendrait m'accuser d'avoir menti. Les oracles se trompent beaucoup, mais ce sont toujours les Dieux que l'on accuse. Il restait cependant d'autres choses. Je sentais une longue cavité, comme une grande ligne, qui se terminait finalement par un impact encore plus important que le précédent. Je sentis mon visage se décomposer. Heureusement, la foule ne m'accordait plus d'attention, trop occupée par les réjouissances. Ils avaient eu leur réponse. Seul Tharik était resté à mes côtés.
« Autre chose, Hàti ? »Sa question raviva l'intérêt des nains, à nouveau tournés vers moi.
« Non, non. Nous avons toutes les informations qu'il nous faut. »Une longue ligne, un impact violent. Il était impossible de se méprendre. J'avais lu dans cette pierre la fin de la lignée de Durin. La mort de Thorin et de ses neveux. La disparition de l'espoir pour un peuple entier était gravé dans ce rocher. Et j'avais délibérément menti.
Quel droit avais-je de dissimuler une telle information ? C'était comme si je les avais moi-même envoyés à leur perte. Ils courraient vers leur mort, et je m'étais tue.
« Je pensais que tu n'y croyais pas, à ces prédictions, de toute manière. »Mîm était la seule personne, enfin, le seul oiseau, à qui j'avais fait part de ma culpabilité. Il partageait mon esprit sceptique, contrairement à Tharik, dont je ne voulais pas subir les sermons sur le mensonge.
« Mais là, c'était différent de mes prédictions habituelles. Lorsque j'ai déchiffré le message, c'était si.. vivant. Si fort. Ce n'était pas une coïncidence. »La réalité de cette prédiction m'avait frappée au point de m'enlever la parole. J'avais été incapable de révéler la fin des Durin. J'avais pu sentir autour de moi la joie à l'annonce de la mort de Smaug, je pouvais presque voir les sourires orner les visages. J'avais été incapable de leur voler ce bonheur. Le peuple des Nains en avaient besoin. Ils avaient besoin de retrouver espoir, après la perte d'Erebor, après l'échec de la Moria. Oui, ils n'avaient pas besoin de savoir la vérité, ils avaient besoin d'espérer. Quand bien même les Nains de l'expédition avaient su, seraient-ils restés se cacher aux Ered Luin pour autant ? Ou auraient-ils rencontré leur destin même en connaissant l'issue fatale ? Ces questions me hantaient. J'avais peur d'avoir fait le mauvais choix.
Les genoux à terre, comme la toute première fois que je m'étais retrouvée là. Toute aussi perdue.
« Nous... nous n'avons pas toujours été les meilleurs amis, toi et moi, n'est-ce pas ? Tu m'as pris beaucoup de choses, et moi en échange je t'ai dévoué ma vie. Drôle d'histoire. »J'avais levé la tête vers le ciel. Pour une fois, ce n'était pas pour impressionner le tout-venant, mais pour me rapprocher de lui. Mon créateur.
« Ne prends pas les fils de Durin. N'arrache pas à tes enfants le dernier espoir qu'ils possèdent encore. Nous sommes imparfaits, parfois même un peu rustres. Mais nous avons du courage, nous pouvons accomplir beaucoup de choses. Laisse aux Nains la chance du renouveau, laisse-nous prospérer comme autrefois. Jamais plus beau culte ne te sera dédié. »J'aurais aimé être entendue, être écoutée. Mais Mahal était un père versatile. Plusieurs mois passèrent sans nouvelle de l'expédition. J'en étais venue à me faire une raison. Peut-être notre peuple était-il sur le déclin. Peut-être que les Dieux attendaient juste de nous voir disparaître à petit feu. Pourtant, un matin...
« Erebor a été reconquise ! Notre cité est libre ! Thorin II est le nouveau Roi Sous La Montagne ! »Alors que tout les habitants des Ered Luin se précipitaient vers le Grand Hall, pour célébrer la nouvelle, ma place était devant l'autel. Les yeux humides, j'avais posé les mains sur la statue. Plus que tout au monde, à ce moment-même, j'aurais souhaité pouvoir poser mes yeux sur ce lieu de culte.
« … Merci. » « T'es pas en train de pleurer, quand même ? » « Non, Mîm. J'ai la foi. »Non, les Dieux n'interviennent pas dans notre vie. Même lorsqu'on prie, encore et encore, lorsqu'on souhaiterait que notre existence s'achève tant la souffrance est insoutenable, les Dieux ne nous viennent pas en aide. Ils ne s'intéressent pas à notre singularité. Ils ne voient que le grand angle, celui d'un peuple tout entier. Ils ne sont pas là pour nous épargner tous les maux, mais juste pour nous aiguiller vers le bon chemin.
Je ne comprends pas les Dieux. Personne ne le peut. On ne peut pas expliquer leurs actes, mais seulement les accepter. Je me dois de respecter leur culte, d'honorer l'attention qu'ils nous accordent. Tel est mon métier, mon devoir. Telle est ma destinée.
« Mais enfin, à qui tu parles ? » « Chuuuut, Mîm, tu vois bien que je leur explique mon histoire. » « A qui ça? « Aux ombres, voyons. »Je tapotai mon épaule. Après un temps de réflexion, le corbeau vint s'y poser pour la toute première fois depuis notre rencontre. Après tout, c'était un bon assistant. Un ami. Je pouvais bien lui servir de transport de temps en temps.
« Viens, je crois qu'Erebor va avoir besoin d'une prêtresse. »