Je étais rentré la veille, titubant, dans un état second que nul adjectif ne pourrait décrire. Ivre d'espoir, remplit de bonheur ; j'aurais très bien pu me perdre que je n'en aurais eu cure. Un dernier regard, une caresse visuelle, la morsure de l'attente et la promesse d'un retour. Je l'aimais, ô, je l'aimais ! Et elle m'avait avoué ces sentiments si doux, si interdits, si brûlants. Nous étions Beren et Luthien, et je me battrais pour elle, pour sa lumière éclatante. J'irais demander sa main au Seigneur son père, à genoux, je foulerais son sol avec dévotion et ferveur, je me plierais à chacune de ses exigences pourvu que la réponse soit celle attendue. J'espérais. Serait-elle là, ce soir ?

La journée était rapidement passée. J'avais été tendu, plus impatient que d'habitude, le doute ne m'assaillant plus pour les mêmes raisons. J'avais eu du mal à me concentrer sur mes objectifs, et les elfes avaient été aussi pris au dépourvu que moi. Ils avaient perçu le changement, peut-être, je ne savais pas, m'en fichais. Je voulais que le soleil soit emporté au loin que la lune revienne, flottante sur sa barque d'argent. Je voulais la revoir tant que j'en tournais en rond comme un lion en cage, décidé à mettre mon plan fou a exécution. J'y avais pensé toute la nuit, incapable de m'endormir, j'avais remué toutes les possibilités dans mon esprit pour arriver à cette unique, merveilleuse, folle conclusion.
Je souhaitais l'épouser. Je la voulais, corps et âme, je désirais l'arracher à sa famille pour la garder pour moi seul. Ô mon amour, mon étoile, ma vie ! Viens, je t'en prie, viens me rejoindre ce soir ! Je ne m'enfuirais pas, je ne serais pas lâche, je me dresserais pour nous deux dans les vents et les tempêtes. Que les Valar nous refusent ce bonheur, je me battrais pour qu'ils l'acceptent, vaillant et déterminé. Elle régnait en maîtresse absolue sur mon cœur.

Peu à peu, pourtant, le feu sacré recula dans son ciel opale. Alors, vêtu des vêtements elfiques que Galadriel m'avait offert, je gravis une fois de plus la colline de Cerin Amroth, lentement, doucement, récoltant ici et là quelques fleurs pour en faire une couronne. J'avais tout mon temps, bien que le soir tombait, il n'était pas encore l'heure. Je mis à la porte mes doutes, bien que mon cœur douloureux ne cessait de me les rappeler, je chassais les noirs nuages de ma conscience. Etais-je digne de son amour ? Si ce n'était le cas, je le deviendrais. C'est sur cette pensée que je terminais cette couronne, plongé au cœur de la Lothlorien, entouré du ciel et des fleurs, les étoiles brillants à perte de vue.
Ô mon amour, viendras-tu ce soir ?