Quelques questions pour vous...
L'esclaveC'est une histoire de sang, de sable et de foi.
C'est une histoire qui prend sa source il y a un peu plus d'un demi-siècle, dans une caravane d'un marchand d'esclave qui faisait un arrêt pour la nuit et d'où montait un hurlement inhumain.
Cette nuit une âme vouée à l'éternité se mourrait.
Malgré sa peau ambrée, héritée de son père d'Al-Amrûn, ses oreilles pointues, sa silhouette élancée, sa peau parfaite malgré quelques perles de sueur, malgré sa douleur et sa peine, cela marquait sa naissance de l'amour d'un homme et d'une elfe, égarée en ces contrées, conquise par les sables. Cet amour là, il datait de plusieurs siècles déjà et avait engendré cette semi-elfe qui se tordait dans le sable gorgé de sang.
Elle aussi avait choisi une vie mortelle, elle avait aimé, passionnément, un homme voué à la mort, au vieillissement – elle avait juré de vieillir avec cet homme qu'elle aimait, abjuré le sang de sa mère, embrassé son âme sœur, fondé un foyer. Il avait la peau plus sombre encore que son père, et mais son rire était franc, et ses chevaux éveillait en elle des souvenirs ancestraux, un émerveillement seulement supplanté par ses boucles indomptables, noir d'encre, défiant la gravité et les usages – fierté de la famille de ce dresseur d'oliphant. Ils s'étaient aimés.
Le don des hommes portait bien son nom en cet instant où il la délivrait de son deuil et de la servitude, où dans un dernier soubresaut, elle tirait sur la chaîne fermée à sa cheville gracile. Comment un an, une vie peut-elle ainsi voler en éclat ? Un an. En Harad, sud ou nord, proche ou lointain, la chance tourne aussi vite que le vent. Leurs biens, leur prospérité avait été arrachée. Leur foyer, englouti sous des sables vengeurs. Son époux, son âme sœur, s'était éteinte en la défendant, en les défendant, elle et l'enfant conçu à peine trois mois auparavant.
Depuis, souffrances et tourments.
La torture, les sévices, les brimades, l'esclavage subis en quelques mois, tourmentant l'âme et le cœur de sa mère, ravivant son deuil et rendant plus cruelle encore la perte de l'homme qu'elle aimait ne serait que le faible écho, l'éphémère annonce de ce qu'affronterait le fils.
Maurevel n'acceptait pas la mort.
Encore moins la servitude.
Né esclave et orphelin, sans même un maître, nourrisson encore à vendre, il n'aurait jamais du survivre. Personne n'achète un bébé qui ne sait pas encore marcher, parler, ou se rendre utile. Aucun maître ne perd du temps et de l'argent à s'occuper, nourrir et faire grandir un enfant qui s'attarde dans sa caravane. Pourtant, Maurevel survécu. Il resta plusieurs années dans la caravane où était morte sa mère, balotté entre les esclaves survivants, ceux qui n'étaient pas encore achetés, ceux qui venaient d'arriver, chacun s'occupant du gamin à tour de rôle. Pas chiant, le gamin. Jamais un gémissement, toujours des rires, pour rien – une tempête de sable, un tatouage exotique sur un nouvel esclave, une cité se profilant à l'horizon, un maître bizarrement accoutré. Les esclaves qui avaient connu sa mère disparurent à leur tour, furent remplacés, et bientôt tout le monde ignora l'âge réel de l'enfant – il marchait seul et bientôt fut de moins en moins porté. Avant ses 18 mois, il cheminait sur les sables mouvants, mais le langage prit du temps. Beaucoup de temps ; seul les rires et l'éclat furieux de ses yeux, boudeur de sa bouche trahissaient ses état d'âme.
Toute l'existence de Maurevel fut maudite par Annatar, sanglée de malheurs et de traumatismes. Toute son existence fut bénie par les Valars, portant toujours sur sa route des rencontres qui lui apportaient la lumière.
Il y avait eu la vieille. Celle qui n'avait jamais été acheté, celle qui avait été récupéré d'un raid, qui n'avait pas voulu mourir avec les enfants trop jeunes pour travailler et les femmes trop laides pour être utilisées. La vieille qui l'avait porté chaque jour de la première année de son existence, qui lui avait appris à marcher, qui avait sacrifiée sa nourriture pour qu'il grandisse, survive. La vieille, morte d'épuisement et de faim, laissée sur le bord de la route.
L'elfe arrivé là par erreur, abandonné du sort, qui lentement se laissait mourir, et dont la lumière s'était éteinte, mais qui pouvait lui parler durant des heures. Qui n'acceptait de parler qu'à cet enfant qui ne s'était jamais regardé dans un miroir, mais qui lui racontait les terribles histoires des anciennes guerres, des mondes tombés dans l'oubli, des dieux qui les avaient oubliés. Les premiers mots que Maurevel daigna prononcer furent de l'elfique – tous avaient abandonné de lui apprendre le suderon parlé les maîtres et les esclaves, et l'elfe avait finalement opté pour le sindarin. Avec succès. Il se mit vite à babiller en sindarin, puis comme si sa curiosité avait enfin été attisée, comme si son envie de vivre avait découvert que les mots peuvent sauver, il appris le suderon qu'on gueulait autour de lui. La langue commune du nord dont l'elfe et quelques autres esclaves parlaient souvent – avec tristesse, regret. L'esclavage n'y avait pas la même emprise, là-haut. Des bribes de quenya, aussi, mais on l'acheta avant.
Depuis longtemps, des années, Maurevel savait ouvrir ses fers – mais ne s'était pas enfui. Pour aller où ? Le monde des maîtres ? Le désert ? L'esclavage n'existe que parce que tous savent qu'obéir comporte moins de peine, pour eux que comme pour les compagnons de peine. Lorsqu'il avait été vendu pour travailler des mines, encore gamin et gringalet, lorsqu'il se murait encore dans un silence têtu, il s'était libéré et enfui. Il fut repris au bout d'une semaine, la marque sur son épaule le dénonçant comme un esclave à tout jamais.
Mais lorsqu'on l'acheta pour la seconde fois, la maison avait un jardin, un jardin entouré de murs, mais un jardin, et au bout, une aile pour les esclaves. Le maître s'était toqué d'apprendre l'elfique, et l'elfe de la caravane ne tenait plus debout depuis longtemps – il ne payait pas un esclave qui casserait sa pipe dans le mois. Peut-être aurait-il du. Car Maurevel avait beau être un jeune esclave, il était déjà une forte tête, insoumise, qui refusait de céder quoi que ce soit à ceux qui le privaient de sa liberté. La confrontation plutôt que la compromission et s'il parlait elfique face à son maître, son sourire plein de gouaille et les crachats qu'il lui envoyait au visage servaient de traduction – les elfes avaient aussi des insultes, et cela, ni les privations, ni les coups de fouet n'y changeraient rien. Bientôt, son maître eut le choix entre le laisser mourir de faim, se défouler sur lui à coup de fouet et de trique jusqu'à le tuer, ou tenter de ne pas perdre tout à fait la somme engagée en l'utilisant pour une autre tâche.
Maurevel aidait à faire le ménage, réparait ce qui avait besoin de l'être, protégeait ceux qui allaient au marché - déjà durant l'adolescente, sa haute taille annonçait sa future carrure et les travaux manuels commençaient lentement à rendre sa stature menaçante. La vie était plus douce que dans la caravane – à défaut de lit, il avait un toit sur la tête, à défaut de sable dans la bouche il avait un repas frugal, à défaut de familles, il avait les esclaves de la maisonnée. L'une d'entre elles se rapprochait sensiblement de lui, le laissant partager – il se doutait bien de ses intentions, il savait qu'elle l'appréciait, il savait qu'elle le trouvait séduisant, malgré elle – compliment qu'il balayait d'un haussement d'épaules et d'un sourire gouailleur -. Simplement, il ne savait pas quoi faire de cela. Il l'appréciait, appréciait sa compagnie et s'était de toute façon fait un devoir de tirer le plus de sourires possibles de ses compagnons. Mais l'amour, il y a cinquante ans comme aujourd'hui n'était bon que pour les histoires qu'il racontait aux âmes en peine. Il laissa cependant la jeune femme approcher, lui sourire, et se faisait sourds aux moqueries du fils du maître et de ses amis.
Jusqu'au jour où en rentrant d'une course à l'extérieur, il tomba sur la jeune femme, attachée à sa paillasse, nue, entourée des rires des jeunes bourgeois. « Prête pour lui vu qu'il avait l'air d'avoir besoin d'aide ». Bien sûr, Maurevel avait envisagé d'embrasser la jeune femme, de la serrer dans ses bras, d'embrasser son cou, de caressé ses reins, de l'emporter dans un coin du jardin. Il était tenté. L'amour charnel serait toujours pour lui une façon de célébrer les valeurs, la vie, d'apporter un peu de bonheur dans l'existence, un bref moment spécial et intime dont ils avaient tous les deux besoin. Une chose sacrée, aussi.
« - Va te faire foutre. »Ouais, je crois bien. Qu'est-ce que le fils répondit, exactement, Maurevel l'a depuis longtemps oublié. Ce qui resta figé dans sa mémoire, ce fut le geste qu'il fit, les pans de sa tunique richement brodée s'ouvrant, le tissu soyeux tombant au sol dans la poussière, ses mains posées sur sa ceinture. Le sang. Ses amis n'eurent pas le temps de s'interposer que Maurevel l'avait saisit par le collet, jeté au sol et que ses poings meurtrirent tant la chair qu'il ne restait que l'os à vif et la bouillie de chaire lorsqu'ils parvinrent à le ceinturer et à l'ôter du corps sans vie de l'haradrim.
Ce fut le premier maître qu'il tua.
Le gladiateur : pour le sang et l'honneur Fouetté, battu à sang, laissé pour mort – il survécu. Revendu sur la place publique, avec cette fois une pancarte sur son corps vêtu d'hématomes et de sang – esclave dangereux, meurtrier. Le sang excite les foules, jamais il ne les effraye – c'était la première fois que Maurevel découvrait ce paradoxe, qui pourtant aller gouverner les quarante prochaines années de son existence.
D'abord, il eut un maître, un homme qui voulait se vanter d'avoir un esclave dangereux parmi les siens, se vanter de l'avoir brisé et dominé. Il n'y parvint jamais.
Une femme qui avait besoin d'un garde du corps – il aurait pu l'apprécier. Il aurait tant voulu la défendre, l'apprécier, la protéger. Mais, il restait un esclave rétif, incapable de supporter le mépris de sa maîtresse, la façon parfois lubrique qu'elle avait de les considérer comme des biens, incapable de supporter ses minauderies au milieu des autres riches possédants. Maurevel était incapable de ne pas les haïr, ne pas serrer les poings et les mâchoires lorsqu'il devait baisser la nuque face à de ces prétendus maîtres – il était esclave, ils avaient la liberté, le droit à la fierté et d'exister. Il refusait de céder, et se battait sur les plus petites choses, refusant de céder d'un pouce. Refusant gentillesse du même regard noir que les coups.
Une demoiselle haradrim, Raya, qui avait besoin d'un garde du corps et qui lui appris à lire et à écrire – il l'aimait bien, même si son monde était radicalement différent du sien, même si lorsqu'il l'attendait devant une porte ses cuirs et vêtements ruinés par les combats, le bandana poussiéreux, les autres nobles le regardaient avec mépris. Ou ne s'apercevaient pas de sa présence – l'indifférence était pire décida Maurevel, sans encore savoir l'utilité qu'être méprisé, ignoré et pris pour du mobilier peut avoir. Il apprenait plus tard, pour l'instant il se contentait de jouer aux gros bras sans cervelles. Son instinct de grand frère lui hurlait de la protéger, de la sauver du mariage sans amour qui s'annonçait, de cette vie d'un autre esclavage qui pesait sur la tête d'une femme, fût-elle de haute naissance. Il ne parvenait pas à accepter qu'une âme et un corps puissent être contraint, appartenir à quelqu'un d'autre. Il ne parvenait pas à garder sa grande gueule fermée, et ne cachait pas sa haine des mariages arrangés – Raya le regardait toujours en souriant, une lueur triste dans le regard, jusqu'au jour où elle alla rencontrer son fiancé, ressorti de la pièce avec des fleurs dans les mains et des étincelles dans le regard. Après cela, Maurevel n'eut guère plus de place auprès d'elle, un jeune esclave séduisant collé aux basques de sa femme ne plaisant guère au promis de Raya. Il fut revendu, encore.
Au fil des années et des maîtres, il s'était amélioré – à lire, compter, écrire auprès de Raya, à connaître jusqu'au bout des doigts les cérémoniels auprès de tous, et surtout à se battre. Il avait un talent naturel pour dispatcher ses ennemis aux quatre coins de la pièce d'un mouvement d'épaule, à lutter sans armes ou à se défendre avec les armes de fortune qui lui tombaient sous la main. On lui apprenait des prises, des tours, des mouvements, au coin des rues, des quartiers d'esclave – il glanait sa technique un peu partout, tandis qu'après les privations et les efforts mortifères, son corps se musclait des exercices physiques et d'une vie à peu près équilibrée.
Il prenait du muscle, de la hargne et de la maîtrise de sa force. Il y eu d'autres maîtres, durant plusieurs années – oscillant entre satisfaction des services que daigner offrir Maurevel, et haine de cet esclave qui pouvait faire rire un enfant, sourire les femmes mais qui ne faisait que présenter un mur de résistance face à eux.
Le dernier de ses maîtres, fut un jeune seigneur plein de morgue et de suffisance, qui adorait dilapider son héritage dans les jeux d'argent. Cartes, dés, paris stupides. Maurevel apprit de lui bon nombre des tours de passe-passe qu'il affectionne aujourd'hui, en inaugura tant que l'individu devient riche. Ils n'étaient pas amis, juste complices. Maurevel se découvrit une passion pour la triche et les paris – n'hésitant à magouiller des combines avec son maître. L'homme aimait l'argent qu'il gagnait, que lui faisait gagner son esclave, mais celui-ci ne connaissait pas le goût de la richesse. Il ne possédait rien, ne posséderait jamais rien, ni ses frusques sur son dos, ni son corps, ni son esprit, que valait pour lui ce métal froid et doré ? Il aimait l'adrénaline qui parcourait ses veines lorsqu'il narguait ses seigneurs à la manque, lorsqu'il leur souriait et les plumait, il aimait se moquer d'eux, rire à leurs dépends, prendre des risques. Il se sentait vivant, il se sentait leur égal – supérieur. Jouer les gros bras n'était au final pas désagréable – tuer, le sang, Maurevel n'avait pas un amour grisant pour ça. Cela ne le dérangeait pas, de tuer, d'avoir les mains et le visage en sang – il apprendrait à aimer la violence et le meurtre, mais pour l'heure il se contentait d'aimer la peur qu'il provoquait, la capacité de s'imposer à ces imbéciles, à envoyer des coups sans en prendre en train dans son dos marqué par le fouet.
Un soir, le noble, son noble, eut la gorge tranchée.
Maurevel était derrière son siège, nonchalamment appuyé contre le mur, nonchalamment lançant des regards noirs à tous les débauchés présents dans la salle, bras croisé, chapeau enfoncé sur ses yeux. Son maître, trichait évidemment, et c'était patent pour l'oeil exercé de l'esclave qui n'y prêtait plus guère attention. Il s'ennuyait, malgré la douce chaleur de la fumerie d'opium où ils étaient installés, malgré le vin que lui avait accordé son maître et qui l'engourdissait à peine, malgré les femmes à moitié nues qui circulaient entre les joueurs.
Il ne devait pas être le seul à connaître les ruses employées par son maître, car son adversaire s'était soudain détendu comme un ressort, et un éclat d'acier trancha la gorge de l'imbécile, répandant son sang carmin sur son jeu. Maurevel n'eut pas le temps de se décoller du mur, que déjà des bras se saisir de lui pour l'immobilier, la sauvagerie du garde du corps étant bien connue. Il rua dans les brancards, envoyant voler les hommes au travers de la salle, sur la table, éparpillant cartes et trésors, laissant tomber un homme sur le cadavre de son maître – il se moquait éperdument de lui, n'avait même pas eu envie de bouger le plus petit doigt pour le défendre mais il savait bien ce qui se jouait là, ce qui était l'enjeu. Sa tête. Les ennemis de son maître n'auraient aucune envie de le voir sortir de ce cloaque, et la tête d'un esclave garde du corps voyant son maître se vider de son sang sans réagir n'a de valeur qu'au bout d'une pique.
Pourtant, la garde le trouva au sol, un genou à terre, les boucles de ses cheveux coagulées par le sang, sa chemise déchirée en maint endroits – nombre de nobles et leurs gardes geignaient au sol, plus ou moins abîmés, mais c'était lui qui saignait et s'agenouillait sous la contrainte. Qu'aurait-il pu faire, lui qui n'avait ni le droit d'être armé ni de tuer ?
« - Vous vous foutez de moi ! » Lorsqu'il s'éveilla, sa bouche en sang laissa échapper le cri sans difficulté, sa poitrine puissante rugissant son ébahissement et sa colère. Même le son des chaînes cliquetantes ne pouvait pas assourdir son cri alors qu'il tentait de se relever, en vain. Il était attaché, enfermé, le cœur au bord des lèvres et Maurevel fixait les barreaux de sa cellule avec un détresse ébahie. Moqueuse et désabusée, aussi. D'esclave il était devenu gladiateur, dans l'espace d'une nuit, d'une inconscience alors que les gardes l'avaient saisi et entraîné loin de la mort de son maître, loin de sa liberté relative. Loin de toute liberté.
C'était un autre univers entièrement dans lequel Maurevel pénétra lorsqu'il reposa ses fesses sur la paillasse sale de sa geôle, de son nouveau domaine. L'Harad était friand des jeux et des amusements sanglants, toujours il y avait assisté depuis les gradins privilégiés de ses maîtres, observant avec dégoût mais dans un silence forcé, les pauvres hères censées se battre à mort pour conserver une illusion de vie.
Aujourd'hui, il y était plongé, le cœur et la peau à nue, censé se battre pour le plaisir de ceux qu'il haïssait.
Les premiers entraînements, les premières raclées, lui apprirent la différence primale qu'il y avait entre ses combats sauvages et les rixes qu'il avait toujours gagné. Il ne gagnait pas forcément, même à l'entraînement. Il combattait face à des amis, à défaut, des compagnons, et non plus des visages honnis. Des visages qu'il avait vu sourire à l'entraînement, rire dans la caserne, qui avaient su garder une certaine joie malgré leur mode de vie et leur condamnation, des gens dont il connaissait le nom, qui avaient pansé ses plaies à son arrivée, qui lui apprirent à éviter les coups, parer, tuer, massacrer.
Les premiers entraînements, les premières raclées, lui apprirent la différence primale qu'il y avait entre ses combats sauvages et les rixes qu'il avait toujours gagné. Il ne gagnait pas forcément, même à l'entraînement. Il combattait face à des amis, à défaut, des compagnons, et non plus des visages honnis. Des visages qu'il avait vu sourire à l'entraînement, rire dans la caserne, qui avaient su garder une certaine joie malgré leur mode de vie et leur condamnation, des gens dont il connaissait le nom, qui avaient pansé ses plaies à son arrivée, qui lui apprirent à éviter les coups, parer, tuer, massacrer. Des gens qui voulaient vivre, qui étaient prêts à tout pour survivre et qui avaient appris leur leçon – la pitié ne viendrait pas. Des gens qui avaient appris à se battre, qui n'étaient encore là que parce qu'ils avaient appris, vite et bien à tuer, à user des armes et armures mises à leur disposition. Des tueurs entraînés, donc chaque jour sous le soleil était dévoué à apprendre à survivre. Qui n'avaient rien et donc tout à perdre.
Maurevel avait intérêt à se mettre rapidement au niveau pour ne pas vomir ses tripes sur le sable chaud de l'arène.
Lorsque les piques et les fouets le forcèrent à s'avancer au milieu de l'arène, d'affronter la mort et son adversaire il choisit de tuer plutôt que de mourir, épinglé dans le dos comme une bête que l'on chasse. Encore aujourd'hui, il porte dans les dos les marques de sa résistance – et si le côté face est remarquablement vierge de cicatrices c'est que jamais ses combats ne duraient très longtemps – s'il devait tuer, il le faisait dès les premières minutes, à tel point qu'il n'y avait rien à voir, circulez. Il se prit des raclées, à l'entraînement, mais toutes ses cicatrices proviennent des fouets et piques, les blessures qu'il a reçu n'ont au final presque jamais laissé de cicatrices – protégé des Valars qu'il était. Il ne cherchait pas le spectacle, l'ayant en horreur, et face aux armes de fer il n'opposait que ses poings – il avait refusé d'apprendre, farouchement. Plutôt mourir que de devenir guerrier.
Il découvrit que cette atmosphère d'émulation, de camaraderie malgré la souffrance lui plaisait. Les journées de spectacles étaient des enfers foudroyants – comment accepter l'idée que la moitié de ceux qui partagent votre petit-déjeuner ne seront-plus là au coucher, enlevés de votre propre main, que vous n'êtes en vie que pour tuer ceux qui vous soutiennent dans la maladie, que ceux à qui vous souriez, que vous séduisez, ne seront bientôt que des corps sans vie, marqués par les coups de vos poings, leurs tripes et leur sang répandu sur vos cuisses et vos jointures. Sous les hourrah de la foule. Mais les journées d'entraînement suscitaient son rire de stentor qui résonnait dans l'arène vidée de ses habitants, les tapes dans le dos qu'il échangeait, les étreintes dans l'obscurité de leurs quartiers putrides, les réconforts dans la douleur. Il s'y sentait bien. Etrangement. Plus étrange encore, le public l'aimait autant que lui le haïssait.
Tout particulièrement quand la majorité de ses combats ne furent plus des combats à mort - à condition d'offrir un show en compensation. Les spectateurs étaient ivres de sang, ils voulaient voir le sang, les supplications, l'horreur. La vie ou la mort. Se sentir tout puissant dans leur tribunes surélevées et leurs voiles légers, immaculés. Maurevel refusait de leur accorder cette joie non-gagnée. Il devint, paradoxalement, rapidement un favori des spectateur – il n'offrait que rarement des mises à morts, après qu'un accord tacite ait été passé, mais le show, le grand spectacle était son truc, pour ainsi dire. Et le fait qu'il combatte plus qu'à moitié nu facilitait également les choses. Il y avait certains adversaires avec qui il pouvait échanger des éclats de rire en écho des coups, des plaisanteries et sous-entendus après l'avoir envoyé rouler dans la poussière cramoisie de l'arène. Camaraderie mêlée de mort - Ried est l'un des rares qu'il croise encore, le seul qui n'est pas grabataire ou percé de coups depuis .
Le public l'aimait, l'applaudissant, clamant son nom au milieu des désirs de mort. Venant le voir avant ou après le spectacle, payant un large pot-de-vin à ses gardiens pour l'approcher en tête à tête, se laisser séduire en gloussant dans un coin sombre par ce gladiateur à la peau sombre et au sourire ravageur/ Par les dieux, Maurevel travaillait son charme – et son pouvoir de manipulation, la douceur de ses sourires et la force de sa haute taille. Il avait appris l'art du meurtre à défaut de la soumission, mais il apprenait aussi l'art de soutirer par le charme, d'effacer l'intelligence d'autrui par la proximitié. A l'époque, il ne s'agissait pas encore d'espionnage, d'informations soutirées aux agents de Sauron et autres raclures : non, de gagner quelques onces de liberté, une outre de vin, une soirée en dehors des murs des arènes, des nouvelles du dehors, une soierie. Il prit goût, à ce travail bien plus doux que l'art de la mort, pour lequel il semblait si doué, au point qu'il sombrai dans une sorte de plaisir manipulateur. Après tout, les deux partis n'étaient-ils pas gagnants et il ne faisait que le rendre heureux, n'est-ce pas ?
« -Qu'est-ce que tu veux ? »C'était il y a quoi ? 35 ? 40 ans ? Il ne tenait pas compte des années. Ces débuts houleux en tant que gladiateur, la première fois qu'il adressa la parole à Alatar. C'était une mauvaise journée, et l'Istar tombait mal. Du moins c'était le sentiment général de Maurevel lorsque les poils se hérissèrent sur nuque, lorsqu'il sentit la présence de l'homme dans l'obscurité qui ne pouvait percer ses yeux d'homme. Il ne connaissait pas la capacité inouïe des Ithryn Luin à toujours retomber sur leurs pattes et au bon moment ; A vous rendre paranoïaque.
Maurevel était assis à côté de barreaux larges comme ses biceps – il n'était pas lui-même enfermé, malgré le fer rouge qui marquait sa chair d'un trait honni, non. Il était en-dehors des cages dans lesquelles les tigres et bêtes sauvages étaient enfermées, affamées, terrifiées. Pourtant cela faisait des heures qu'il était assis en tailleur, tout contre ces barreaux, à parler d'une voix douce, à fredonner une mélopée apaisante, l'elfique roulant sur ses lèvres. Il refusait de tuer des hommes, ou abréger leurs souffrances sans rien accorder de sang ou de cri au public – ses maîtres avaient jugé plus cocasse de le mettre face à des bêtes sauvages. Le spectacle s'allongeait de lui-même lorsque le semi-elfe devait affronter à mains nues un fauve, se battre pour sa vie et voir la mort en face. Il n'était pas sûr d'en réchapper demain, pas sûr de ne pas se faire croquer par la bête qu'il apaisait de son champ, mais il en portait déjà le deuil. Il ne pouvait pas se résoudre à ne pas vendre chèrement sa peau, à ne pas faire tout ce qu'il pouvait pour vivre, pour abattre son adversaire – mais voir le pelage souillé de sang, et le fauve couché dans l'arène, mis à mort à contre cœur, il n'en tirait que de la tristesse et de la honte. Alors il venait souvent s'excuser d'avancer, espérer dans une part de son âme qu'il ne surmonterait pas la sauvagerie de son adversaire.
Ce fut ce soir là qu'il rencontra Alatar pour la première fois. Le petit homme l'intriguait, cultivait sa curiosité c'était le moins que l'on puisse dire, et ce ne fut pas long avant qu'il ne se mette à son service. Ce ne serait que plus tard cependant, une dizaine d'années manquaient encore avant qu'il ne se livre corps et âme dans la cause des Valars et de leurs Istari, qu'il ne reconnaisse Alatar pour ce qu'il était.
Maurevel était une porte-ouverte vers un autre monde, plus noir, plus sanglant, symbolisme exact de la main-mise de Sauron sur les terres de l'est et du sud-est. Et la haine toujours vivace de Maurevel pour les maîtres, ceux qui se flattaient de ces horreurs et soutenaient le Maître Noir de leur frivolité incandescente le rendait brûlant de saper leurs pouvoirs. L'amour qu'ils éprouvaient pour lui le mettait à la frontière des mondes entres les morts-qui-marchent et les serviteurs du nécromancien – il n'était rien. Un esclave, un chien, séduisant, certes, mais toujours un objet, mais un objet introduit dans les couloirs et les ruelles des appartements – plus tard Maurevel reprendrait ce rôle, de faire parler et de tendre l'oreille, glâner les pierres à lancer sur leurs adversaires. Il commençait ainsi son métier d'espion auprès d'Alatar, lorsqu'un jour l'Istar lui souffla l'idée d'apporter son attention à une domina d'un nouveau genre.
Ljota Bloodseeker.
Le moment où elle fonda son école de gladiateur fut une révolution pour leur petit monde, et toute l'attitude apparemment flegmatique de Maurevel ne pouvait tout à fait cacher l'ébranlement qu'elle mit en place dans leur univers. Soudain, un mur était tombé.
Bloodseeker. Le terme était plein de promesses et de cauchemar, bien discordant à cette naine qui faisait la moitié de sa taille et de son poids – mais Maurevel ne la sous-estimait pas. Jamais. Ni lorsqu'il l'observait de loin, elle et ses hommes, à l'occasion des rencontres guerrières, ni lorsque plus tard il rejoignit ses rangs. Elle l'obtint à la faveur d'un pari.
Pari peu innocent, que Maurevel avait chuchoté à l'oreille d'un de ses spectateur préféré. L'affection pour le meurtre, le sang et Sauron de ce noble n'était pas un secret, son amour des paris et des meurtriers non plus. Il était facile de le provoquer, de lui dire que dans les couloirs sombres des arènes, on parlait tant de Ljota et de ses hommes, qu'ils représentaient le futur ; une cohorte dure et impitoyable, qui faisait trembler les foules. Attisant autant la compétition que le désir de possession chez le maître il parvint à lui faire parier face à Ljota : en jeu, l'un des esclaves qui combattait – Maurevel ne lui appartenait pas nominativement, mais l'argent n'était rien. Et c'était des deux côtés plus une histoire d'honneur qu'autre chose lorsque deux gladiateurs s'opposèrent à mort sous les yeuxdes deux maîtres et de Maurevel, ombre derrière le siège du courtisan. Cette mort gratuite outrait toujours son cœur, mais il était usé à cette violence pérenne et son visage impassible – à l'exception d'un léger sourire en coin. Méprisant plus qu'amusé, malgré ses mains croisés devant sa ceinture, sagement ; Ljota n'avait pris aucun risque, n'importe quel combattant aguerri l'aurait vu comme les nuages sombres au dessus du Mordor. L'excellent gladiateur envoyé par le maître était maladroit et terrifié par rapport à ce que l'ancienne garde avait fait du sien et le résultat du combat était prévisible.
Maurevel changea encore de main.
Personne qui a une fois reçu du sang dans sa bouche ne souffre que son gosier ne s'apaise. Et Maurevel en a reçu assez pour devenir un ivrogne. Ses années là, au dégoût de sa mémoire, furent empreintes et de violence, contre et par lui. Et elles ne furent pas les plus désagréables de sa maudite existence. Sous les ordres de Ljota, il apprit à se battre avec une redoutable efficacité, jusqu'à devenir aussi mortel que ces collègues ; ils se battaient, tuaient sur commande, s'entraînaient. Maurevel appréciait cela, en quelques sortes – imposer le respect, apprendre à se battre, à se défendre, dominer, faire partie une troupe, boire et festoyer avec eux, tuer avec eux. La seule chose qui le faisait tiquer étaient les raisons qui les faisait combattre – en résumé ? Ljota. Ils étaient à sa botte ou à sa laisse. Il ne l'appréciait pas, elle faisait trop appel à la bête qui grondait dans le fond de ses entrailles, lorsqu'elle rugissait de joie, couverte de sang, elle faisait trop écho, telle un miroir de son propre état. En effet, Maurevel mit rapidement à profit sa force, sa puissance, sa rapidité et son endurance héritée de sa grand-mère – il s'oubliait dans la bataille, tournant en une boule de rage rejetant ses ennemis brisés au sol – il n'était plus lui-même, ivre de sang, mais s'apercevoir lui-même dans la naine ivre de violence ? C'était toujours un choc, une douche froide qui le ramenait dans son corps.
Mais il l'a respectait. Valars qu'il la respectait. Les personnes qu'il respecte se comptent encore aujourd'hui sur ses mains – chacune pour des raisons différentes, bien qu'elles soient plus rares que les filons de mithril qui filent sous les terres d'Arda. Ce respect ne rend jamais Maurevel servile, mais Ljota a obtenu son obéissance défaut de son amour : Alatar, Pallando, Finduilas, si Maurevel n'hésite jamais à leur tenir tête et à leur signaler ce qu'il pense vertement de leurs décisions – en bien comme en mal – il leur reste attaché, lié à eux par un lien fort, une affection, une amitié réciproque. Ljota ? Ce n'est pas la même chose, et jamais aujourd'hui Maurevel n'est nostalgique de cette époque: toujours domina, Erynie vengeresse pétrie de haine telle une Héra sanglante - malgré les paroles que parfois les hommes s'échangeaient lorsqu'elle était occupée à quelques mètres de distance de leur regroupement.
Paladin des Valars : le prêtre & l'amant Il resta près de vingt ans dans sa compagnie, à se battre sous ses ordres, à piétiner dans le sang. A tenter d'espionner, toujours à ronger son frein, à renâcler les paroles d'Alatar. A sentir inutile, aussi – Ljota n'accordait pas sa confiance, encore moins de secondes chances, et Maurevel n'eut pas vraiment d'occasion de relayer d'informations à Alatar, ni même de revoir l'énigmatique humain. Mais il apprit. Enormément. Que ce soit à propos des mille façons de tuer un homme, ou à propos du cours du monde, de ce qui se passait au-delà des arènes – aux murmures de ses admirateurs s'étaient ajoutés les employeurs de Ljota, et Maurevel apprit rapidement à ajouter deux et deux, à tirer ses propres conclusions et à se faire discret.
Il y a une trentaine d'année, la naine lui accorda sa liberté. Si sur le moment, l'ancien esclave, l'ancien gladiateur, s'étaient senti soulagé, libre enfin, presque démuni, il y avait toujours la marque sur son épaule, et le sang sur ses mains. Chargé d'un léger baluchn, et d'une bourse encore plus légère il sortit de la ville - voir le monde, chercher les beautés dont son maître elfique lui avait un jour parlé, enfonçant dans son crâne les graines de la liberté et de ce qui deviendra une flamme inébranlable.
Il ne fuyait ni la désagréable impression d'avoir échoué ni le sang, ni ses fantômes – tous ceux qu'il connaissait étaient introuvables ou morts, après tout. Maurevel s'enfonça dans le désert, dans cette étendue sans bornes ni chaînes qui s'étendaient aux delà des murailles, dans ce marais de sables mouvements et de cadavres d'esclaves oubliés – un retour aux sources, puisqu'il y était né. Il y était entré en Harad du Sud et après une année d'errance, entre dunes et villages, entre seigneuries sauroniennes et caravanes, il revint à la civlisation dans le Khand. Il avait rencontré bon nombre de personnes, en bien ou en mal, mais il en ressortait surtout habité par une flamme inébranlable qui habitait ses yeux et son sourire. Il était entré alourdi du meurtre et du sang, une ombre dans le regard, et roulant des épaules pour accentuer le fantôme criminel qui avait pris ses traits et toisait le monde, poings et mâchoires serrées. On pourrait résumer en disant qu'il avait connu une expérience mystique dans le désert – un délire poussé par la faim, la soif et l'hélianthe brûlant, inspiré par les dieux. Trouvé les Valars, vu les dieux, eu une crise mystique. Ce serait un raccourci tragique, et réducteur, mais il est vrai qu'il changea, beaucoup. Depuis l'enfance, il croyait aux Valars, connus sous leurs noms elfiques, et conservait un espace qui leur était dévoué dans son cœur. Mais dans ce monde, ce sont les actes des mortels qui comptent et qui font avancer. Les bonnes choses n'arrivent pas à ceux qui prient, mais à ceux qui ont une bonne étoile et qui se bougent pour leur destin. Mais il y avait du réconfort dans les prières et dans la foi – dès l'époque de ses premiers combats, on l'appelait le prêtre, parce qu'il avait toujours un conte à raconter, un mot philosophique profondément optimiste, qu'il incitait à la prière ou à la méditation. Mais il choisit de dévouer ses actes aux Valars, de se faire leur main dans ce monde, de ne plus croire simplement à une bonne étoile - il est habité d'une force nouvelle, d'une sérénité qui se propage autour de sa personne.
Il a rejoint le temple fondé par Alatar, pour changer en profondeur les croyances d'une contrée bien trop livrée à une foi hérétique, vouée au Nécromancien. Maurevel a toujours prié et prêché les Valars, bien que devant parfois taire leurs noms - son côté bon vivant, sanguin, passionné et grandiloquent jouant à captiver les foules dans des discours pleins de vie, faisant écho au reste de sa vie, dressant une nouvelle voie face aux cultes noirs, à la fois mystique, prêtre, prédicateur, jamais moine, toujours en sacerdoce.
Prostitué aussi, amant des corps, des dieux et des âmes.
Il jouait aussi les gros bras dans les maisons closes de Pallando, et on s'était rapidement habitué à le voir assis dans un coin à une table, une verre de vin nonchalamment posé devant lui, jouant aux cartes avec les clients qui prenaient leur temps avant de monter dans un cadre plus intime – les plumant, extorquant, les soûlant, posant les bonnes questions sous couvert de camaraderie. Et les assommant proprement ou les jetant par la fenêtre s'ils dépassaient les bornes vis à vis de des filles et jeunes hommes qui travaillaient là. Il ne supportait pas et ne supportera jamais de voir quiconque souffrir et les cris, les ordres et les gestes d'un maître violentant un inférieur le rendent malade – et donc rendent autrui sanguinolents.
Sa position dans le réseau de maisons closes de Pallando changea drastiquement lorsqu'il faillit perdre son œil.
A cause d'un individu de la pire espèce – la clientèle était variée, accueillant le bon comme le mauvais. Si Maurevel y a retrouvé avec plaisir Ried, vieux camarades de batailles, et si les dames ne lui sont aujourd'hui pas rares, il y a aussi des individus, mâles ou femelles qui foulent aux pieds les prostitués travaillant par là, aimant les faire souffrir, aimant la violence – souvent, ils sont influents dans les plans de domination des armées de Sauron, mais difficile à approcher sans en perdre un œil. Ce jour-là, Pallando n'était pas présent pour contenir les élans sanguinaires de ce type, et Maurevel s'était interposé au premier cri. La jeune femme refusait de monter avec le client, qui lui filait la chaire de poule, et selon un vieil instinct de conversation ayant sauvé bien des femmes, elle se refusait à l'homme, à son argent et à sa violence. Maurevel s'était porté volontaire pour prendre sa place, et le sourire en coin qui avait signifié l'accord de l'homme marquait autant sa satisfaction face à l'échange que la confirmation des larmes naissantes sur les joues de l'adolescente.
A cette première prostitution, Maurevel gagna une profonde cicatrice qui marque sa chaire, au-dessus de sa paupière – un atout charme indéniable pour l'ancien gladiateur au passé tumultueux. Il ne perdit pas cependant sa foi dans l'avenir, ni son amour des corps, qui se reliait à un désir de toucher les âmes. Il cumula rapidement son travail au temple à celui sur l'oreiller, les accomplissant tous deux avec cette extravagante et cet excès qui le caractérisaient. Dans ce monde, il est comme un poisson dans l'eau, changeant de tenues et de comportements en battenements de cils. Redoutablement efficace lorsqu'il s'agit de mentir, espionner, parler affaires avec ses boss, n'hésitant pas à cumuler les rôles et statuts, effaçant son existence au profit d'une grande œuvre, mais pourtant toujours hanté d'une joie infatigable, qui lui permet de ne jamais fuir devant un combat, de se ruer tête en avant dans le danger, à corps perdu. Son sarcasme et son sourire sont inébranlables, alors qu'il semble toujours moqueur, avec un sourire en coin, toujours heureux, jamais la nuque courbée.