Lorsque Smaug s’est réveillé ? Où étais-je à ce moment-là ? J’étais à la Comté, tout simplement.  C’était il y a environ sept ans, j’étais donc âgée de vingt-quatre ans à ce moment-là. Je menais une vie de jeune Hobbit tout à fait ordinaire, en compagnie de mes quatre frères et de mes parents. J’avais encore la tête pleine de rêves et une curiosité propres aux jeunes de mon peuple. Mais tout a été balayé d’un revers de main lorsque Smaug est arrivé. Je me rappellerai toujours de cet instant.  J’étais en compagnie de Moro – mon plus vieux frère – et Minto – le second plus âgé, après Moro – ; nous avions prévu de rendre visite à l’une de nos tantes, à quelques pas de la place du marché de la Comté. Ce fut là que la situation dégénéra ; d’abord des cris de terreur, une sale odeur de brûler puis des flammes envahissant les smials des environs. Je n’eus pas le temps de me tourner vers l’un de mes frères que ces derniers me poussaient  pour me mettre à l’abri. Moro m’ordonna de ne pas me retourner et de courir le plus vite possible vers la forêt. J’entendis Minto m’encourager à suivre les ordres de notre aîné, chose que je m’empressai alors de faire, malade de peur et d’angoisse. Je m’en voulais d’avoir ainsi pris la fuite, mais je ne pouvais rien faire d’autre, tiraillée par la terreur. Je m’étais alors enfoncée dans la forêt, incapable de réfléchir d’avantage, et avais couru sans me retourner. Tout comme Moro me l’avait demandé. J’avais couru pendant un long moment et ne m’étais arrêtée que lorsque je n’entendis plus les cris des habitants terrorisés de la Comté. Je m’arrêtai alors de courir, en pleurs. Je m’affalai sur le sol humide de la forêt, à bout de souffle et les nerfs mis à mal … Voilà où j’étais lorsque Smaug a ravagé notre belle Comté, voilà ce qu’il s’était passé lors de son arrivée plus que terrible.
   

   Les araignées et les orcs ne sont, pour moi, que des images sorties des cauchemars des créatures les plus imaginatives d’entre nous. Je n’en ai encore jamais vu lors de mon voyage – et je m’en estime heureuse – et les récits que je peux entendre à leurs sujets ne me rassurent guère ; je n’ai absolument pas envie de croiser leurs routes.
   

   Je dois bien avouer qu’il est difficile d’ignorer qui est le Nécromancien ces derniers temps ; j’ai entendu des rumeurs à son sujet, mais rien de bien fiable si vous voulez mon avis. Je ne cherche pas particulièrement à en savoir plus à son sujet, ne voulant pas m’effrayer encore plus que ce que je ne suis déjà.
   

Mon histoire commence par la rencontre d’Aidlinn Greenroot et de Matto Blamberblue. Tous deux étaient jeunes lorsqu’ils se sont vus pour la première fois ; Aidlinn n’avait que trente-deux ans et Matto venait de fêter son trente-quatrième printemps. La rencontre des jeunes hobbits fut plutôt atypique ; la demoiselle tomba d’un arbre – un pommier pour être plus précise – directement sur le jeune homme ! L’aînée de la famille Greenroot s’excusa entre deux éclats de rire, surprise et confuse par une telle situation, alors que le jeune Blamberblue rougissait tel une pomme bien mûre. Le jeune hobbit avait été victime d’un véritable coup de foudre, à un tel point qu’il ne tarda pas à lui demander s’il pouvait la revoir très prochainement. Aidlinn accepta en riant chaleureusement, lui promettant de le retrouver le lendemain même. Après de nombreuses rencontres, les deux jeunes Hobbits entamèrent une relation plus sérieuse, puis se marièrent quelques années après s’être fréquentés avec assiduité. Une grande fête eu alors lieu pour célébrer leur union, à laquelle tous les hobbits de la Comté furent conviés. Ma mère s’était toujours plus à nous raconter, à mes frères et moi, à quel point son mariage avait été une belle fête. Fièrement mariés, le couple Blamberblue ne tarda pas à emménager dans le smial familial, en compagnie de la doyenne de la famille. Tout le monde l’appelait Grandma’ et était une vieille hobbit très chaleureuse. Elle avait accepté l’arrivée d’Aidlinn dans la famille avec une certaine joie, ravie de voir que son petit-fils se mariait enfin ! Si cela n’avait tenu qu’à elle, Matto se serait marié dès qu’il eut atteint sa majorité.
Quelques mois après l’officialisation de leur union, Aidlinn put affirmer avec joie qu’elle attendait u très heureux évènement. Fou de joie, Matto ne tarda pas à informer toute sa famille et ses plus proches amis de l’agrandissement prochain de leur petite famille. Et au bout de quelques mois, Moro vit enfin le jour et fut accueilli très chaleureusement par tout le monde. Aidlinn et Matto ne s’arrêtèrent pas là ; une année plus tard, Minto arriva, suivi de près par Mundo, puis les jumeaux Milo et Malo. L’arrivée de chacun fut espacée par une année. Il n’y eut que moi qui tardai à faire mon entrée ; j’arrivais seulement cinq ans après les jumeaux. J’entrai donc un monde d’hommes, entourée par mes frères qui espéraient avoir un autre garçon dans leur famille. Ils furent quelque peu déçus de voir qu’ils auraient une sœur plutôt qu’un frère, mais je n’eus aucun mal à m’intégrer dans leur petit groupe ; ils m’adoptèrent immédiatement. Ils me servaient de chevaliers servants durant toute mon enfance ; dès que j’avais le malheur de m’écorcher le genou ou si quelqu’un avait la mauvaise idée de venir me tirer les cheveux, un de mes frères était toujours dans les environs pour m’aider à me relever ou chasser le manant. Mes parents étaient fiers de mes frères qui me chouchoutaient à ce point. Ma mère, très bonne cuisinière et très attentionnée, était une véritable maman poule ; elle nous couvrait chacun de baiser et nous emprisonnait de manière très agréable dans son étreinte chaleureuse. Elle était celle vers qui nous nous tournions dans nos moments de doute. Mon père, lui, était un hobbit très énergique. Il jouait avec nous lorsque son emploi du temps le lui permettait et il était le premier à inventer des histoires sans queue ni tête pour nous divertir.

Comme vous pouvez aisément le comprendre, j’ai grandi dans une famille de Hobbit tout à fait respectable, que l’on ne remarquait pas. Mais cela ne voulait pas dire que je ne fus pas heureuse dans mon enfance. Bien au contraire. Je m’épanouis dans cette grande famille qui était la mienne. Et lorsque je me sentais étouffée par l’ambiance familiale – car cela pouvait arriver, oui – je me réfugiais chez nos voisins, où se trouvait celui que je considérais comme mon meilleur ami ; Tobias Sweetpea. Il avait vu le jour dix mois avant moi. Dès notre plus tendre enfance, nous fûmes très proche, presque aussi proches que mes frères et moi l’étions. J’intégrais Tobias à tous nos jeux, toutes nos escapades. Lui n’avait pas de frères ou de sœurs, chose qui me semblait bien triste, alors je m’efforçai de lui faire oublier ce fait. Cela sembla marcher. Tellement bien qu’il n’était pas rare que Tobias reste avec nous pour déjeuner. Ou pour goûter. Ou pour souper. Bref. Tobias et moi étions très proches. A un tel point, qu’au moment de l’adolescence, nous nous trouvions à éprouver des sentiments assez profonds l’un envers l’autre. Ce fut lui qui m’approcha en premier à ce sujet, à ma plus grande surprise et à ma plus grande joie ; j’étais persuadée que mes sentiments étaient à sens unique. Nous nous fréquentâmes durant quelques temps en secret, mais ce ne fut pas une surprise pour nos proches lorsque nous leur annonçâmes que nous avions l’intention d’officialiser nos intentions ; nous avions donc l’intention de nous marier une fois que nous eûmes atteint l’âge de la majorité et nous le ferions avec leur bénédiction.

Ce fut peu de temps après notre joyeuse annonce que les choses se compliquèrent considérablement. Rien ne pouvait laisser penser aux hobbits le malheur qui allait leur tomber dessus aussi soudainement. Le simple fait de me souvenir de cette triste journée me donnait la chair de poule, me rappeler des cris de terreur des habitants de la Comté lorsque le Dragon arriva me rendait malade. Mais ce qui m’écœurait le plus était la réaction que j’avais eu à cet instant là ; mes frères ainés m’avaient ordonnée de fuir et je l’avais sans la moindre hésitation, rendue abrutie par la peur et l’angoisse. Bien que jeune, je pus rejoindre Bree après de longues journées de marche. J’y trouvai refuge durant quelques jours, le temps de me remettre de mes émotions. J’y croisai quelques hobbits, qui tentèrent de me convaincre de retourner sur la terre qui m’avait vu naître, en vain. J’avais trop honte d’avoir abandonné les membres de ma famille face au dragon. Je restai donc à Bree en tout et pour tout deux semaines, avant de prendre la décision de voyager. J’avais entendu parler d’un groupe d’humains qui allait s’en aller d’ici peu de temps, lorsque je pris ma décision, et rentrai en contact avec eux. Nous parvînmes à un arrangement après une longue discussion ; en échange de mes services de couturière, je pourrais les accompagner. Je me débrouillai de cette façon plusieurs fois encore, voyageant de petits groupes en petits groupes en échange de menus travaux. Et je le fais toujours aujourd’hui ; je parcours la Terre du Milieu de cette manière-là, cherchant à fuir ma honte et à oublier ma lâcheté.