Sevieth écoutait les rumeurs avec attention. Il regrette amèrement de n’avoir pas pu voir ce spectacle qui devait assurément être magnifique. Une si majestueuse créature emplissant les yeux de flammes… Quand aux nains, Sev n’a aucune rancune particulière envers les nains. En plus, ils n’apprécient généralement pas le peuple sylvestre, ce qui plaît d’autant plus au semi-elfe. Alors qu’ils aient récupéré leur montagne et leur or, for bien ! Tant mieux pour eux.

Sev a déjà croisé des Orcs, oui. Comme ils étaient avec Méadred, il n’a pas eu à les affronter – fort heureusement. Il a également entendu parler des araignées de Mirkwood, mais hormis celles qui se glissent parfois dans ses chaudrons… Il n’en a vu une seule. A vrai dire, il s’en fiche un peu, tant qu’elles ne viennent pas essayer de le manger…

Oh oui, le Nécromancien, ça lui parle. Un peu. Disons qu’il sait qu’il s’agirait d’un puissant sorcier, et que Saroumane semble être de son côté… Alors tout de suite, Sev est intéressé. Surtout en sachant que ce n’est pas un sage sorcier accroc aux elfes, comme peut l’être ce Gandalf. Plus l’âme de ce Nécromancien paraît sombre, plus il attise la curiosité du semi-elfe. Mais Sevieth ne sait pas grand-chose de plus sur lui – il ne demande qu’à apprendre.

Le père de Sevieth était un homme, tout ce qu’il y a de plus normal. Gondorien, sa curiosité et son courage l’avait poussé à courir le monde, jusqu’à ce qu’il tombe sur des Orcs et soit gravement blessé. Heureusement, la bataille n’avait pas eu lieu bien loin de la Lothlorien, où une délégation d’elfes passant dans les parages avait récupéré et sauvé le malchanceux. Un coup du sort et une chance immense que les créatures sylvestres passent dans le coin et décident de le sauver. Salement amoché, il mit un long moment avant de se remettre, moment durant lequel il apprit à vivre aux côtés des charmantes créatures aux oreilles pointues, où il s’entraînait pour recouvrer force et musculature, et où il rencontra Siriel…
La belle elfe et le jeune homme s’éprirent l’un de l’autre, et Stig ne courut plus le monde comme il put le faire avant sa malheureuse blessure. Il préféra conter fleurette à sa douce, jusqu’à ce qu’elle accepte de lui rendre son amour. Il avait fallu la bénédiction de leurs parents pour les marier, mais ils n’eurent pas trop de mal à l’obtenir. Vivant en Lothlorien, ils donnèrent naissance à un petit semi-elfe, Sevieth, et la vie semblait leur sourire.

Oh, à eux, elle souriait. A Sev, moins. Il n’avait pas hérité de la beauté naturelle des elfes. Il avait les cheveux noirs, légèrement gras, pas blonds et soyeux comme ceux des elfes qui l’entouraient. Il n’avait ni leur grâce naturelle, ni leur agilité presque féline. Il n’était pas beau. Ses yeux sombres ne perçaient pas l’horizon, et seuls oreilles avaient cette délicate pointe commune au peuple sylvestre. Mais Sevieth avait des dispositions à l’art blanc, l’art de la guérison et des plantes. Il était intéressé à l’art et en particulier à la musique et, s’il n’arrivait pas à tirer convenablement une seule flèche, au moins excellait-il au lancer de couteau. Il vécut seize ans en Lorien, avant que – voyant son mari vieillir lentement mais sûrement – Siriel ne décide de quitter la forêt et d’abandonner son immortalité.

Ce fut également un soulagement pour Sevieth, qui n’avait plus à subir les brimades de ses camarades trop beaux et trop parfaits. Comment ne pas se sentir inférieur à côté d’eux ? Comment ne pas se trouver répugnant et détestable lorsque l’on est entouré de perfection ? Le seul elfe que Sevieth aimait était sa chère mère, qui était toujours à son écoute. Ils s’installèrent au Rohan, bon compromis entre la Lothlorien et le Gondor. Sev put apprendre à monter à cheval, et continua à se perfectionner auprès de sa mère dans la voix de la guérison et des plantes.
Mais il put également le faire avec sa cousine ; en effet, depuis qu’ils avaient quitté le royaume sylvestre, Stig les amenait régulièrement voir sa sœur, dans un petit village perdu du Gondor. La seule raison pour que Sev mettent les pieds dans cet affreux endroit était sa cousine, qu’il chérissait et qu’il considérait presque comme sa petite sœur. Du reste, il n’aimait que peu le village qui ne l’aimait pas, ni lui ni sa mère, en raison de leur différence.

Cela ne l’empêcha pas, au fil des ans, de continuer à rendre visite à sa cousine avec son père, lorsque sa mère ne désira plus être l’étrangère indésirable. Sevieth passait outre, il y avait plus important. Les moqueries et les brimades, il les subissait toujours, elles semblaient ne jamais vouloir cesser, où qu’il s’installait. A l’aube de ses 29 ans, il apprit que sa chère cousine – mariée – venait de donner naissance à une jolie fillette du nom d’Absinthe. Lui qui était devenu aigri et narquois, rendre visite à sa famille lui était toujours bénéfique. Mais il n’aimait pas vraiment le mari de sa cousine, ce qu’il ne manquait pas de lui faire remarquer.
La guerre emporta son père et, peu de temps après, lui arracha sa mère. Sev fut dévasté, et ses visites au Gondor devinrent plus fréquentes. Il adorait sa petite nièce – du moins la considérait-il comme sa nièce – et lorsqu’il venait, il s’amusait à parfaire son éducation des plantes avec sa mère.

Au Rohan, une douce menace du nom de Meadred soufflait sur les plaines. Le semi-elfe fut immédiatement intéressé ; il n’avait jamais été Rohirrim, il ne s’était jamais senti Rohirrim. Les moqueries n’avaient pas cessés ici, et c’est avec grand plaisir qu’il rejoignit sa cause.
Gagnant confiance et travail, le semi-elfe se sentit enfin utile et presque apprécié. Il n’oubliait cependant pas sa cousine et sa nièce, dont la fugue l’avait profondément affecté. Il était rentré, songeur, et avait certainement dû se prendre les pieds dans sa cape – comme souvent lorsqu’il était perdu dans ses pensées. Plus tard, alors que la prise de Lond Daer était en préparation, il eut vent d’une catastrophe et chevaucha jusqu’au petit village, pour le découvrir brûlant dans les flammes ardentes. La peur le submergea, et il courut vers la maison de sa cousine, pour y trouver son mari errant dans le village en flamme, entre les cadavres carbonisés et les cris angoissés des victimes à l’agonie.

« Où sont-elles ?! » hurla-t-il en empoignant l’homme par le col. « Tu n’as pas su les protéger ! Ni ta fille, qui s’est enfuie et a certainement dû se faire tuer, ni ta femme que tu as laissé périr dans les flammes ! » Sa rage était telle qu’il ne laissa l’homme parler. Le sang de Sevieth ne fit qu’un tour dans ses veines, alors qu’il le tuait sauvagement, laissant sa tristesse et sa colère s’évacuer dans ces gestes barbares.
Il revint à temps pour participer à la prise de Lond Daer – qui fut gagnée, évidemment. Il avait eu fort à faire, et heureusement que ses élèves attentifs l’avaient aidé. Sevieth sentait que sa vie prenait un nouveau tournant. Il était loyal à Meadred, et était vivement intéressé par ce Nécromancien, ainsi que par Saroumane, qu’il ne connaissait que par leur chef. Il sentait une nouvelle ère venir – et un monde où il aurait enfin sa place.